Essai. Sainte-Foy, Le Passeur, 1993, 338 pages. ISBN : 2980106879
Guy Bouchard propose en première partie de cet ouvrage fort documenté un panorama complet des définitions de la science-fiction que tout un chacun a formulées depuis la naissance du genre. On peut mesurer l’exhaustivité de son inventaire en consultant, à la fin de l’essai, la bibliographique qui compte 28 pages. Il procède de façon méthodique en regroupant et superposant les commentaires pour faire ressortir ce qui les oppose ou les rassemble, disposant au passage des définitions qui relèvent de la boutade ou qui s’auto-invalident. Ce travail d’exégèse théorique mène l’essayiste à présenter en deuxième partie un système romanesque qui tient compte de toutes les formes concevables.
Ce système est basé sur quatre micro-systèmes que Guy Bouchard a dégagés des sèmes distinctifs qui reviennent sous la plume des théoriciens les plus éclairés pour définir la science-fiction. Chaque micro-système correspond à un certain nombre de possibilités romanesques. Ainsi, le micro-système des personnages considérés par rapport au narrataire implicite comporte trois possibilités : homomorphique, hétéromorphique (extraterrestre, robot, etc.) ou homo-hétéromorphique (récit mariant les deux). Le micro-système spatial peut engendrer 15 avenues possibles en combinant quatre variables : homotopie, atopie, hétérotopie terrestre et hétérotopie galactique. Le micro-système temporel se ramifie en 29 variables possibles obtenues par la combinaison des éléments suivants qui caractérisent le roman : homochronique (présent), anachronique (temps indéterminable), historique (passé), anticipation (futur).
Le dernier micro-système, celui des personnages considérés en eux-mêmes, est le plus complexe puisqu’il offre 67 possibilités basées au départ sur trois types de romans : dramatique (action), psychologique et idéique. Bouchard raffine ce micro-système puisque le sème idées peut se subdiviser en naturelles vs surnaturelles. Les idées naturelles peuvent elles-mêmes engendrer trois rameaux : épistémiques, artistiques et sociopolitiques, cette dernière catégorie offrant deux choix puisqu’une idée sociopolitique peut être idéalisée ou non. Bouchard illustre ces multiples ramifications en puisant un grand nombre d’exemples dans le corpus mondial de la science-fiction mais aussi dans la littérature générale, que ce soit dans Thérèse Desqueyroux de François Mauriac, Le Satiricon de Pétrone ou Les Faux-Monnayeurs d’André Gide.
Ainsi, en combinant les cas de figures possibles des quatre micro-systèmes (3 x 15 x 29 x 67), on en arrive à 87 435 formes romanesques concevables. De ce nombre, la science-fiction est susceptible d’occuper 42 210 univers romanesques, soit 48,27 % du corpus global. L’autre territoire majeur (45 024 formes) relève de la fantaisie (fantasy) et du fantastique, le roman réaliste ne représentant que 201 formes (67 pour le roman ordinaire et 134 pour le roman historique ordinaire).
Bouchard termine sa démonstration en espérant avoir fait valoir le prodigieux foisonnement des possibilités créatrices de la science-fiction et détruit les préjugés que certains entretiennent à son égard en l’enfermant dans une définition étriquée qui ne tient pas compte de ses multiples facettes. « La science-fiction est un archet qui peut faire résonner, sur un mode nouveau, toutes les cordes traditionnelles de la fiction romanesque », conclut-il.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1993, Alire, p. 214-215.
Références
- Croteau, Paul-G., imagine… 65, p. 118-119.
- Gadbois, Vital, Québec français 92, p. 9.
- Lord, Michel, Lettres québécoises 71, p. 33-34.
- Pelletier, Francine, Samizdat 24, p. 40-41.
- Spehner, Norbert, Le Devoir, 27/28-03-1991, p. D 4.
- Vonarburg, Élisabeth, Solaris 106, p. 51-53.