Parution : Solaris 106, Ville-Marie, 1993, p. 5-28.
Georges Henri Cloutier soumet à l’analyse l’œuvre double d’Antoine Gérin-Lajoie, Jean Rivard, le défricheur (1862) et Jean Rivard, économiste (1864), afin de déterminer si on peut ajouter cette contribution au corpus des utopies romanesques québécoises. Premier obstacle majeur : Gérin-Lajoie se défend d’avoir écrit une fiction romanesque. Cloutier est d’avis contraire puisque le personnage de Jean Rivard n’a aucune existence réelle ou historique. Il expose la pensée de l’auteur qui s’inscrit dans le discours politique et économique de l’époque visant à contrer la première vague d’émigration vers les États-Unis. Gérin-Lajo2ie encourage la pratique de l’agriculture en faisant d’elle la base des activités industrielles et commerciales qui favorisera le développement économique local. Grâce à l’éducation des jeunes et au ciment social de la religion, il croit possible l’autonomie des habitants et la constitution d’un « village global à visage humain », selon l’expression de Cloutier.
Est-ce que les idées nobles de l’auteur et les caractéristiques de la société imaginaire qu’il dépeint correspondent à ce qu’on entend par utopie ? Selon le signataire de l’article, les deux romans se conforment aux trois règles du genre qui définissent l’utopie selon Darko Suvin : 1) un cadre géographique isolé (ici, un territoire vierge des Cantons de l’Est) ; 2) une minutie de la réglementation dans une société organisée (le héros donne un encadrement législatif et exécutif à sa collectivité) ; 3) une stratégie dramatique illustrée par un procédé littéraire (la narration, par un biographe-avocat, de la réussite du héros). Qualifié d’eutopie (utopie foncièrement optimiste ayant pour objectif l’amélioration des conditions de vie de l’homme), le diptyque de Gérin-Lajoie rejoint d’autres œuvres publiées au cours d’une centaine d’années, soit jusqu’à la Révolution tranquille. À partir de là, remarque Cloutier, les utopies présenteront les développements futurs comme négatifs pour l’humanité. Désormais, les dystopies prédomineront en littérature québécoise.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1993, Alire, p. 217.