Parution : Les Voies du fantastique québécois, Québec, CRELIQ, Nuit blanche éditeur, coll. Séminaire n˚ 3, 1990, p. 179-201.
Le grotesque est un art dont l’origine remonte au XVIe siècle. Il repose sur un discours narratif spécifique visant à exprimer le tragique d’une situation comique. Danielle Pittet s’inspire des travaux de Marie Francœur et de Wolfgang Kayser pour analyser les procédés grotesques à l’œuvre dans « Le Sac » d’Yves Thériault. Elle commence par dégager certains marqueurs syntaxiques qui contribuent à produire une esthétique du grotesque : absence de repères historico-géographiques, patronymes burlesques des personnages, utilisation fréquente d’archaïsmes ou d’expressions populaires.
Son étude de l’acte d’énonciation l’amène ensuite à identifier des structures linguistiques et narratives propres à susciter le grotesque. L’essayiste relève 130 formes verbales dans le conte de Thériault qui appartiennent, soit au monde commenté (les verbes au présent, au passé composé et au futur), soit au monde raconté. L’attitude du récepteur (le lecteur) sera tendue dans le premier cas, et détendue dans le second. Or, « Le Sac » montre une nette prédominance des verbes du monde commenté, ce qui contrevient au langage du conte qui appartient au genre narratif. L’auteure y voit là une caractéristique du conte grotesque « où le narrateur raconte comme s’il commentait ». En outre, la focalisation interne fixe envahit le conte grotesque puisque le point de vue du narrateur-personnage (le « je », narrateur autodiégétique) monopolise la narration. Ainsi se trouve évitée toute tentative d’interprétation de la part du narrateur, sans quoi le grotesque risquerait fort de s’évanouir.
Élargissant son propos à l’ensemble du recueil, ou du moins au micro-cycle qui correspond à la première partie, Danielle Pittet met à jour une isotopie, celle du désir fatal, par laquelle s’élabore un grotesque sous-jacent. Cette pulsion incontrôlable débouche sur la notion de manipulation dont est victime le personnage du Troublé. L’essayiste conclut que la présence d’un locuteur occulte, que Kayser appelle l’objectivation du « il », constitue le « trait distinctif le plus pertinent, celui qui impose indéniablement la vision grotesque ».
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1991, Logiques/Le Passeur, p. 204-205.