Parution : Féminisme et androgynie : explorations pluridisciplinaires, Les Cahiers du Grad 4, Sainte-Foy, Université Laval, 1990, p. 43-53.
Jacques Vaillancourt examine le modèle social basé sur l’androgynie dans le roman d’Ursula Le Guin, La Main gauche de la nuit, et se demande quelles sont les conditions qui doivent être réunies pour qu’un tel modèle soit applicable dans la réalité. Le choix philosophique de Le Guin, qui « opte pour le Même dans un débat engagé avec l’Autre », suppose des conditions sociales qui permettent de dépasser le poids du déterminisme sexuel. Vaillancourt constate que l’actuelle répartition du travail ne favorise pas l’avènement d’une société androgyne, pas plus qu’une inversion simple des rôles parentaux ne permet d’échapper au rapport dominant/dominé. Sur Géthen, le modèle d’organisation sociale ne repose pas sur une distinction sexuelle en raison de la nature androgyne des êtres.
Pour la romancière américaine, l’androgynie « jouit d’une double protection : au niveau social, elle enraye toutes discriminations fondées sur le sexe et, au niveau individuel, elle pose le rapport avec l’autre sur un pied d’égalité. » Cela suppose une ouverture d’esprit que l’auteure met à l’épreuve dès le début du roman en choisissant le genre masculin pour identifier ses personnages androgynes. Ce choix esthétique, qui peut paraître contredire l’éthique féministe de Le Guin, solllicite en effet la capacité du lecteur ou de la lectrice à dépasser la structure grammaticale de la même façon que l’androgynie nécessite une remise en question fondamentale des rôles sexuaux. Pour l’essayiste, l’anarchisme et l’androgynie préconisés par Le Guin constituent des éléments d’une utopie qui va plus loin que le féminisme.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1990, Logiques/Le Passeur, p. 214-215.