Parution : U•Topos et les tiroirs de l'utopie, Matane, Galerie d'Art de Matane, 1987, p. 63-71.
Guy Bouchard retrace d’abord l’évolution du terme utopie, de l’usage qu’en fait Thomas More (une île où il fait vivre une société idéale) à l’acceptation négative propagée par Marx et Engels. Contrairement à Ruyer qui en donne une définition très large, Bouchard propose de restreindre l’utopie à l’activité artistique, soit aux fictions intégrant le thème sociopolitique. Il désignera l’ensemble de la problématique liée au thème sociopolitique idéalisé par le terme hétéropolitique. Il considère que la démarche hétéropolitique « comporte trois moments : un épisode discursif, une médiation idéologique et une implantation historique ». L’auteur reconnaît que l’utopie ne dépasse pas le second moment, sa fonction, essentiellement médiatrice, étant de préparer les esprits à la réception des modèles para-utopiques (engendrés par l’activité théorique pure) réalisables.
C’est ce qui l’amène à s’intéresser au féminisme considéré comme l’utopie par excellence parce que la restructuration sociale constitue son objectif profond. Ce féminisme s’exprime notamment dans les utopies féministes qui ont connu un développement remarquable depuis 1970 et dont on évalue le nombre à plus de 30 romans. Elles contribuent à la dissolution du logos masculin et proposent le dépassement des stéréotypes sexuaux en esquissant trois modèles de société sans sexage : « la société sans hommes, la société androgyne et la société bi-sexuée ».
Bouchard estime que l’utopie féministe, par rapport à l’utopie masculine, est ainsi porteuse d’une métamorphose idéologique qui s’accompagne d’une transformation sur le plan esthétique. Les écrivaines utopistes réussissent à provoquer une tension dramatique en mettant en scène le conflit entre deux mondes (celui de la femme et celui de l’homme) tandis que l’utopie masculine traditionnelle se révèle davantage didactique par l’utilisation d’un visiteur comme protagoniste. Pour soutenir toutes ces affirmations, l’auteur de l’étude utilise comme modèle une nouvelle de Joanna Russ, « When it Changed », qui donnera naissance à son célèbre roman, The Female Man.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 202-203.