Parution : Les Ailleurs imaginaires, Québec, Nuit blanche éditeur, 1993, p. 5-37.
Faisant sienne la conception du genre énoncée par Bakhtine selon laquelle le genre « se constitue lui-même en système et développe des méthodes spécifiques et complexes pour appréhender la réalité », André Carpentier aborde la SF comme une entité vivante et dynamisante sous le double rapport de sa pratique et de sa réception. Tout au long de son étude, il garde à l’esprit le contrat qui lie le producteur (la généricité auctoriale) et le récepteur (la généricité lectoriale) et le fait que les genres se nourrissent mutuellement.
Il utilise son expérience d’écrivain pour illustrer comment un texte (« Carnet sur la fin possible d’un monde »), dont le projet à la base était fantastique, s’est peu à peu transformé en objet science-fictionnel quand le nuage de poussière au cœur de la nouvelle, à prime abord source d’étrangeté, est devenu un phénomène astronomique, donc scientifique. Dans ce cas bien précis, « la SF a phagocyté la dimension fantastique », note-t-il.
Cet exemple amène l’auteur à aborder la spécificité de la SF qui repose sur des invariants et des variables génériques. Les invariants constituent l’essence du genre, une base sur laquelle le genre ne peut faire de compromis sous peine de perdre son identité. Pour la SF, il s’agit de la conjecture rationnelle et des rapports spatio-temporels qui dictent le principe d’organisation du monde. Les variables génériques, pour leur part, concernent les thèmes (fin du monde, manipulations génétiques, etc.), ce qui permet à la SF d’assurer sa survie et d’étendre son champ thématique. C’est cette aptitude à se renouveler tout en ne reniant pas ses invariants qui l’a amenée à intégrer les sciences dites humaines, de même que l’érotisme, l’enquête policière, l’aventure ou le comique.
Rappelant que la SF est apparue au milieu de la période moderniste, ce qui ne saurait être une coïncidence puisque le modernisme, selon Gilles Lipovetsky, a incarné « la révolte de la singularité contre la tradition régnante et ses modèles absolus », Carpentier conclut qu’un genre morphologiquement figé est un genre mort. La SF ne pouvant se résumer exclusivement à ses invariants, sa définition est appelée à changer périodiquement, ce dont il faut se réjouir car cette vitalité témoigne de sa capacité à « investir différents réseaux textuels et [à] produire des œuvres mariant les espèces ».
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1993, Alire, p. 216-216.