Parution : imagine… 73, Sainte-Foy, 1996, p. 11-24.
Comment exprimer l’inexprimable ? C’est le défi que doivent relever les rapporteurs d’expériences « qui se situent aux frontières du possible ». Lise Morin se donne comme programme, dans cette étude, d’identifier les stratégies narratives qu’utilisent les personnages narrateurs pour rendre compte de l’insaisissable. Pour illustrer son propos, elle puise ses exemples dans une dizaine de nouvelles fantastiques de type canonique écrites par des auteurs québécois (Claude Mathieu, Jacques Brossard, Daniel Sernine, André Carpentier, Michel Tremblay, Michel Bélil, Marie José Thériault et Gaétan Brulotte) et dans le roman Ces spectres agités de Louis Hamelin.
L’un des expédients consiste à utiliser la métonymie ou la métaphore pour pallier l’absence de mots capables de décrire « un phénomène qui offense une loi naturelle, physique ou logique ». Cette difficulté de dire se traduit dans le texte par l’hésitation, l’interrogation rhétorique et l’interruption du discours. Lise Morin rappelle que l’événement fantastique heurte à la fois l’intellect et les mœurs. Dans ce dernier cas, les interdits liés à la sexualité ou à diverses formes de sacré sont mis au jour par le fantastique à la faveur duquel, selon Jacques Van Herp, la notion de faute (compris comme aux temps anciens) va remplacer celle de crime ou de péché. Morin se demande : « Le fantastique […] serait-il une sorte d’équivalent littéraire du dogme du péché originel ? » Aussi, le silence s’avère parfois une stratégie qui, par un effet pervers, peut contribuer à la création littéraire d’un tabou.
La discrétion, voire le refus de nommer, représente pour les fantastiqueurs modernes une autre avenue pour dire l’indicible. De plus, l’art de la dissimulation s’exprime parfois par le procédé dit de prétérition que ceux-ci détournent à leur profit en pseudo-prétérition, « c’est-à-dire qu’on donne à croire qu’on a dit, sans avoir rien fait ». La description négative, qui consiste à dire ce qui n’est pas, à défaut de dire ce qui est, constitue une autre stratégie, tout comme l’utilisation de certains procédés typographiques, qui dessinent en creux la chose insaisissable, et l’emploi de surfaces transparentes et réfléchissantes (fenêtres, tableaux, miroirs) qui servent de clefs de voûte d’opérations narratives puisqu’elles tendent à refléter et à représenter ce qui demeure irreprésentable.
En somme, se demande Lise Morin, n’est-ce pas tant « la chose singulière que l’impossibilité même de dire, c’est-à-dire la faillite de toute écriture » qu’expriment les écrivains de fantastique au moyen des procédés ci-devant énumérés ?
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1996, Alire, p. 229-230.