Parution : Études françaises, vol. VIII, n˚ 2, Montréal, 1972, p. 115-129.
André Belleau consacre cet essai à la figure de l’automate androïde apparue au début du XIXe siècle, ce qui coïncide avec le premier âge d’or de la littérature fantastique. Il en relève les premières manifestations dans Frankenstein de Mary Shelley (1818), L’Homme de sable d’Hoffmann (1816) et L’Ève future de Villiers de l’Isle-Adam (1880), trois œuvres qu’il analyse dans la dernière partie de son essai sous l’angle de l’opposition entre l’énonciation scientifique et l’énonciation mythique.
Dans un premier temps, Belleau s’emploie à esquisser une typologie de l’automate en se penchant sur ses origines. Il se réfère à la pensée de Norbert Wiener, inventeur du terme « cybernétique » et l’un des notables artisans de la mathématisation des sciences de la vie. Belleau résume ainsi sa démarche intellectuelle : « On constate chez lui une singulière dualité : il soutient que la machine, comme l’homme, est dotée d’intelligence, d’originalité, d’invention ; mais à mesure qu’il la hausse vers l’homme, il insiste sur le primat des valeurs humaines qu’il sent menacées. » C’est à partir de ce rapport de l’homme à la machine cybernétique que Belleau distingue trois groupes d’automates dans les romans.
Le premier groupe est tributaire des remarquables réalisations de la mécanique horlogère du XVIIIe siècle dues aux grands « mécaniciens » que furent Jacques de Vaucanson et les Joquet-Droz, père et fils. L’œuvre d’Hoffmann en est l’exemple type. La tradition mécanique trouve son équivalent aujourd’hui dans la technologie électronique et, de ce fait, débouche sur la science-fiction. Pensons à l’intelligence artificielle. Le deuxième groupe, dont le Monstre de Frankenstein demeure le modèle, est issu de la tradition golémique. Le mythe du Golem, qui provient de la culture judaïque, est en effet basé sur la création d’un être artificiel par un rabbin à partir de l’argile. Les automates de ce groupe ne sont pas mécaniques mais biologiques. Le troisième groupe comprend les romans dans lesquels la « symbiose homme-machine y est poussée si loin que c’est la société tout entière qui devient un automate, avec ses organes de commande, d’action, de vérification ». Le Meilleur des mondes de Huxley et 1984 d’Orwell en sont les plus illustres représentants.
Dans son analyse des trois œuvres citées plus haut, l’essayiste démontre que les romans d’automate tiennent un double discours, scientifique et mythique, qui naît de la contradiction entre la nature de l’automate créé avec rigueur et méthode à partir d’une connaissance analytique et scientifique et les circonstances de ses manifestations dans le monde romanesque qui font appel au registre nocturne, au feu et au sacré des hauteurs. Même dans L’Ève future, célébration du positivisme scientifique, l’entreprise scientifique menée par Edison, l’inventeur du phonographe et de l’ampoule électrique, est mise en échec quand l’automate qu’il a créé, Hadaly, est perdu dans un naufrage, ce qui consacre la défaite de la matière.
Source : Janelle, Claude, Les Années d'éclosion (1970-1978), Alire, p. 425-426.