Parution : Orwell a-t-il vu juste ?, Sillery, Presses de l'Université du Québec, 1986, p. 155-167.
Dès le départ, Julien Bauer rappelle que le type de leadership a évolué historiquement de la façon suivante : monarchique, puis charismatique, puis démocratique. Cependant, toute société organisée suppose une hiérarchie, terme qui signifie gouverner et sacré. L’auteur démontre que même la hiérarchie démocratique, qui opère une désacralisation du pouvoir, ne peut faire autrement que de favoriser le culte de la personnalité et, partant, une resacralisation du pouvoir. Toutefois, il établit une distinction entre le culte de la personnalité tel qu’il est utilisé par Orwell et la personnalisation du pouvoir sur laquelle mise le leader des sociétés démocratiques libérales. Big Brother impose son omniprésence, détient un pouvoir absolu, rend illégale et illégitime l’opposition et contrôle les tribunaux tandis que le leader vise à faire accepter sa présence massive, détient un pouvoir relatif, doit faire face à l’opposition et est sous le contrôle relatif du pouvoir judiciaire.
C’est sur cette toile de fond théorique que Julien Bauer analyse le mythe de la toute-puissance de Big Brother. Ce mythe, qui inhibe toute velléité de révolte, se nourrit de la crainte qu’il inspire à la société. Toutefois, l’auteur croit, tout comme François Bourricaud, que Big Brother ne peut imposer son pouvoir sans un minimum de consentement de la société. Élargissant la définition de Big Brother aux dirigeants d’États totalitaires, il montre que même les plus forts sont amenés, à des degrés variables, à négocier avec leurs sujets, ce qui ébranle leur mythe d’invincibilité et d’irréductibilité. L’essayiste croit finalement que l’apparition de mythes concurrents, l’existence de sociétés libres et l’accessibilité de la technique contrecarrent le pouvoir absolu de Big Brother et pourraient même contribuer à l’abattre.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1986, Le Passeur, p. 155.