Essai. Montréal, XYZ, coll. Théorie et littérature, 1992, 208 pages. ISBN : 9782892610567
Dans cet essai très documenté, l’auteure dissèque la symbolique du vol magique dans les récits québécois de chasse-galerie en retenant quatre contes représentatifs du corpus : « Une chasse-galerie moderne » de Damase Potvin, « La Légende de la chasse-galerie » de Wilfrid-Hidola Girard, « La Chasse-galerie » d’Honoré Beaugrand et « La Chasse galerie » de Marie Caroline Watson Hamlin. L’approche de Brigitte Purkhardt combine plusieurs lectures qui se répartissent selon deux grands axes : une infralecture qui « s’attache au contenu manifeste du texte et à l’économique de son réseau symbolique » et une analecture qui met à jour les instances à l’œuvre dans l’agencement des motifs ou figures inscrits dans le récit.
L’essayiste dégage trois grands types narratifs légendaires qui correspondent aux trois finalités du vol magique : le voyage aérien pour la vie (le vol vitaillant) qu’illustrent les deux premiers contes, vers l’amour (le vol galant) qui compose l’essentiel du conte de Beaugrand et par la mort (le vol viaticant) auquel renvoie le récit de Marie Caroline Watson Hamlin. Mais avant d’analyser plus en détail ces trois finalités qui expriment autant de modèles d’existence que peut adopter l’être humain face à la contingence de réaliser son mieux-être, l’auteure tente de retracer l’origine du mot « chasse-galerie » dont l’orthographe a grandement varié au cours des cent dernières années. Puis, reprenant la classification des récits de chasse-galerie basée sur le motif central du vol magique, Purkhardt étudie à tour de rôle la morphologie des quatre contes.
Le vol magique pour la vie « refuse l’ordre perturbé des choses et s’ingénie à rendre le sort meilleur ». Les contes qu’il inspire relatent « une lutte pour la subsistance matérielle par l’acquisition de vivres, de la “provende” au sens vieilli du terme ». L’auteure note l’affrontement de deux mondes et s’étonne que « dans ces deux chasses-galeries, les adjuvants, pourvoyeurs du vol magique, soient deux personnages étrangers à la communauté ethnique des destinataires : l’Anglais Tommy Smith et le sorcier montagnais ».
Le vol magique vers l’amour « sert l’appétence pour vaincre la peur et rassemble dans la fête ceux que le dur labeur a séparés ». Ces récits racontent la satisfaction d’une carence affective chez des travailleurs cantonnés au loin, séparés de leurs habitudes et surtout de leurs blondes. Mais Purkhardt constate que le vol galant comporte un côté moral : le retour de l’enfant prodigue. « Les adeptes du vol magique, malgré leur volonté de transgression, n’ont pas tranché le cordon ombilical de la matrice idéologique qui les a engendrés. »
Enfin, « certains récits présentent des tentatives d’accession à la pérennité et de correction du destin. Des êtres coupés de la vie, grâce au vol magique par la mort, récusent le néant, le paradis et leur brusque départ de la terre ». Ce vol viaticant « exécute pour eux [les morts] un nouveau contrat existentiel dans un Au-delà qui dénonce les tares de l’ici-bas ». La mort se présente alors comme un symbole à double signification : signe de déclin et d’essor en même temps. Pour Sébastien et Zoé, le nouveau contrat existentiel qui résulte du vol viaticant, motif permanent dans les récits de chasse-galerie, laisse entrevoir « un mode de vie dualiste dans une dialectique des pouvoirs de chacune des parties : va-et-vient entre les forces naturelles et les valeurs culturelles, entre la turbulence et la quiétude, entre la liberté et l’assujettissement ».
L’auteure conclut cette partie en affirmant que le vol magique, qu’il soit motivé par la provende, par l’amour ou par la pérennité, « se fait l’agent du progrès et dessert un idéal de Sur-Vie : subsistance et mieux-être par le contrôle de l’espace vital, de l’espace affectif et de l’espace existentiel ».
Dans la troisième et dernière partie, Brigitte Purkhardt compare les versions québécoises de la chasse-galerie aux versions européennes « de manière à établir les règles de filiation, les corrélations formelles, les modalités axiologiques ». Entre le sieur de Gallery du Poitou, lointain aïeul de la version d’origine, et les gars de chantier, elle identifie une figure intermédiaire par laquelle s’opère le passage de la Chasse Gallery à la chasse-galerie : le coureur des bois.
Source : Janelle, Claude, Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 249-251.
Références
- Bielinski, Ivan, Nuit blanche 50, p. 65.
- Grutman, Rainier, Spirale 123, p. 14.