Jean-Marc Gouanvic

Parution : Cahiers pour la littérature populaire 8/9, La Seyne-sur-Mer (France), Centre d'Études sur la Littérature populaire, 1987, p. 75-84.
Traduction : Rational Speculations in French Canada, 1839-1974, dans Science Fiction Studies 44, Montréal, 1988, p. 71-81.

En étudiant les œuvres qui mettent en scène des conjectures rationnelles (utopie et science-fiction) au Canada français entre 1839 et 1974, Jean-Marc Gouanvic identifie quatre courants hautement représentatifs de l’évolution sociohistorique de notre société et des débats qui l’agitent depuis un siècle et demi. À chacun de ces courants, il associe une œuvre qui en cristallise les enjeux sociohistoriques. Le premier courant, Conjecture rationnelle et philosophie des Lumières, s’incarne dans « Mon voyage à la lune » (1839). Napoléon Aubin s’y révèle un émule de Cyrano en assumant la fonction critique du conte philosophique et l’héritage de l’humanisme de la Renaissance à qui l’on doit le thème de la pluralité des mondes habités. Le deuxième courant met à jour l’ultramontanisme. Cette doctrine, largement développée dans Pour la patrie (1895) de Jules-Paul Tardivel, vise à renverser les acquis de la Révolution française en restaurant la suprématie de l’Église sur l’État. 

Le troisième courant, que l’auteur appelle Utopisme et Révolution tranquille, s’exprime dans Défricheur de hammada (1952) de Guy-René de Plour. Tout en étant marquée par son époque (idéologie familiocratique, religion catholique éloignée toutefois de l’ultramontanisme, poids de la défaite historique), cette utopie annonce la Révolution tranquille en faisant de la rationalité de la science et de la technologie le principal moteur du changement social. Le quatrième courant révèle une science-fiction venue des États-Unis et dont le modèle est le roman dystopique de Maurice Gagnon, Les Tours de Babylone (1972). Gouanvic signale que la SF américaine dont Gernsback s’est fait le promoteur a d’abord été imitée dans les pulps québécois. Il estime que si Gagnon présente les problèmes de société comme « universels », rompant ainsi avec la question nationale posée par ses prédécesseurs et s’inscrivant dans le sillage du modèle américain, la fin ouverte de son roman « sauve une problématique où s’enlise assez souvent la SF américaine faussement universelle ».            

Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 206-207.