Parution : La Discursivité, Québec, Nuit blanche éditeur, coll. Cahiers du CRELIQ (Université Laval), 1995, p. 123-154.
Devant la pléthore de définitions qui tentent, avec plus ou moins de succès, de cerner la spécificité de la science-fiction, Richard Saint-Gelais constate qu’une poétique de ce genre littéraire est impossible ou, plus exactement, n’est pas opératoire face à l’hétérogénéité foncière du genre. Aussi se propose-t-il plutôt d’examiner une problématique axée sur la lecture qui dégagerait les propriétés spécifiques du genre. Son argumentation s’articule en trois étapes qui représentent chacune une approche différente : sociosémiotique (le rôle du paratexte) et poétique (spécificités formelles) tandis que la troisième s’inscrit dans le cadre des théories de la lecture.
Dans une perspective sociosémiotique, l’essayiste considère « l’appareil d’édition et de distribution comme un des facteurs de ce [qu’il] appelle le réglage préalable de la lecture ». Ainsi, « l’inclusion du livre dans une collection spécialisée, sa maquette, son rangement dans telle section de la librairie » sont autant d’éléments qui conditionnent la lecture. À ces réglages préalables s’ajoutent des réglages textuels qui se mettent en place en cours de lecture. Saint-Gelais reconnaît que ces dispositifs ne sont pas suffisants car l’illustration de la couverture ou le résumé en quatrième peuvent être sources d’ambivalence générique. Le paratexte n’est donc pas une clé infaillible comme il le démontre avec le cas de l’illustration de la première édition de Chroniques du Pays des Mères d’Élisabeth Vonarburg.
Dans un deuxième temps, l’essayiste soumet à l’épreuve l’hypothèse selon laquelle la science-fiction posséderait des stratégies discursives spécifiques. Cette piste semble prometteuse, davantage que celle de la thématique rassembleuse, car ce qui permet de reconnaître la science-fiction, ce serait « les curieux rapports que le texte établit, non pas explicitement mais à travers ses agencements discursifs, entre narrateur, narrataire et lecteur ». Cela se traduit par une abondance de segments didactiques expliquant les innovations technologiques, ce qui provoque certains paradoxes car « l’énonciation même des informations en question présuppose qu’elles ne sont pas connues – alors qu’elles sont posées comme notoires ». Toutefois, l’apparition, depuis les années 1960, de textes qui prennent la forme de purs discours didactiques – qui se présentent comme des documents encyclopédiques et que l’essayiste appelle des « artefacts science-fictionnels » – ou, au contraire, de textes ne comportant pratiquement aucun discours didactique invalide toute tentative de définir la science-fiction à travers des régularités discursives.
Dans la troisième partie de son étude, Richard Saint-Gelais se penche sur les réglages de la lecture. Il note que les mondes science-fictionnels requièrent des modifications encyclopédiques qui affectent tout un réseau de connaissances chez le lecteur par rapport à son cadre de référence, tandis que les mondes fictifs « ordinaires » (par exemple celui de Madame Bovary de Flaubert) exigent tout au plus des réajustements ponctuels. La spécificité de la science-fiction logerait-elle là ? Non, fait valoir Saint-Gelais qui cite l’exemple d’une œuvre de Paul Auster, Leviathan, dont « la divergence encyclopédique » paraît indéniable mais si tardive dans le roman que d’aucuns refusent de reconsidérer in extremis son statut réaliste alors que d’autres lecteurs l’incluront dans le corpus SF.
En somme, il existe toujours une zone indécidable ou zone grise qui fait échec aux tentatives de délimiter les frontières du genre.
Source : Janelle, Claude, L'AFFQ 1995, Alire, p. 222-223.