Parution : Études Canadiennes/Canadian Studies 40, Vanves (France), 1996, p. 7-28.
Lise Morin déplore d’entrée de jeu que les recherches littéraires n’abordent pratiquement pas les différences entre roman et nouvelle, ce qu’elle attribue au discrédit dont souffre le récit bref en Occident par rapport à la forme romanesque. Cette discrimination, note-t-elle, se vérifie aussi dans l’étude du fantastique. Pourtant, elle considère que les deux types discursifs diffèrent largement en raison de leur longueur respective qui conditionne différemment leur stratégie narrative. Pour les fins de la discussion, elle prend pour sujets la nouvelle « Le Livre de Mafteh Haller » de Marie José Thériault et le roman Héloïse d’Anne Hébert, deux œuvres fantastiques de type canonique. Ce qui distingue le « fantastique canonique », c’est qu’il « prend un sujet exclusivement humain comme principal focalisateur ».
Après avoir passé en revue quelques réflexions des théoriciens du fantastique (Louis Vax, Joël Malrieu, Jacques Finné, Jean Fabre), Lise Morin se propose de démontrer que « la nouvelle et le roman, constitués différemment, ne mettent pas les mêmes ressources à la disposition du fantastique ». Elle fait valoir, dans un premier temps, les traits communs aux deux œuvres, à savoir la fatalité qui conduit la victime au seuil de l’abîme et sa forte résistance devant l’existence du prodige. Toutefois, si le comportement humain est le même dans le récit court et dans le roman – réification de l’humain qui, dépossédé de volonté face à la puissance surnaturelle, se transforme en objet –, il en est tout autrement de la ligne de conduite de la créature surnaturelle. Celle-ci demeure discrète dans la nouvelle, le récit mettant l’accent « sur l’événement au détriment de l’agissement », soit sur l’effet sur le patient plutôt que sur les motivations de l’agent. Dans le roman, le comportement de l’être monstrueux (Héloïse et la communauté de vampires) est davantage intelligible et moins monolithique et invincible. En devenant pluridimensionnelle, la créature surnaturelle voit son altérité amoindrie et elle revêt les caractéristiques de la victime.
En somme, résume l’essayiste, l’impact de la durée discursive sur le fantastique donne lieu à des différences marquées en raison de la façon de présenter la créature monstrueuse. L’éclairage dont elle profite dans le roman rend son agissement un peu plus intelligible, l’humanise et fait miroiter une issue positive. Ainsi, « l’occultation de l’agissement au profit de l’événement, le caractère unique du phénomène fantastique, la solitude du héros et de la créature – toutes caractéristiques que la critique donne comme des constituants du fantastique – renvoient plus à la nouvelle qu’au roman ». D’où la nécessité, pour Lise Morin, de prendre en considération les deux types discursifs dans l’élaboration d’une poétique du fantastique.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1996, Alire, p. 230-231.