Murielle Martin

Parution : Solaris 120, Roberval, 1997, p. 29-32.

Dans ce texte au ton ironique, presque pamphlétaire, Muriel Martin nous offre un survol historique de l’état des genres. Elle observe tout d’abord l’inquiétude de l’amateur de « vraie SF » face au contenu des rayons SF en librairie. Pour ce lecteur frustré, non seulement la fantasy a envahi le territoire de la SF, mais le contenu des rares livres de SF se compose des mêmes intrigues, accessoires et personnages que les années précédentes. Le syndrome de répétition tant reproché à la fantasy mine aussi la SF. Inutile de se tourner vers l’horreur ou le policier, on arrive aux mêmes conclusions. Bref, les genres vont mal, il n’y a plus de bonne littérature de genre, tout allait tellement mieux « avant ».

Muriel Martin nous propose donc un survol historique pour essayer de cibler l’époque à laquelle le lecteur fait référence lorsqu’il rêve d’un âge d’or révolu. Après l’excitante décennie de 1910, avec Edgar Rice Burroughs et Abraham Merritt, la SF de l’époque abordera la décennie suivante avec la répétition des mêmes thèmes et des mêmes approches. Il faudra attendre la fin des années 1920, avec Amazing Stories, pour voir apparaître une littérature à la recherche du nouveau. Cela dure peu. Les revues des années 30 (Wonder StoriesPlanet Stories, etc.) s’adressent davantage aux adolescents qu’aux adultes : aventure, stéréotypes et pauvreté d’invention y font bon ménage. Bien sûr, il y aura Campbell, Bradbury et Leigh Brackett, mais qui parle des années 1939 à 1943 comme de l’Âge d’Or de la SF américaine a oublié la production affligeante qui remplissait les pages de Thrilling Wonder Stories, d’Amazing, etc.

On pourrait croire que les années 50 sont plus généreuses, avec la venue des Sheckley, Bester, Pohl, Matheson. Ce sont des exceptions : une lecture attentive des revues révèle l’existence d’un océan de médiocrité. Et les années 60 ? Malgré la présence de Dick, Ballard et de nombreux auteurs de la new thing, le grand vendeur des années 60 est Andre Norton, qui prépare le terrain pour deux générations d’écrivaines et de lectrices de fantasy. Autrement dit, il y a toujours eu de ces productions normalisées sur le marché et elles ont toujours accaparé la part du lion.

Le phénomène est devenu plus notable en raison de l’émergence de la fantasy, mais si ce genre littéraire est privilégié par les éditeurs, c’est parce que c’est ce que le public veut lire. Le novum se présente encore, mais toute œuvre différente, pour s’imposer, doit être répétée pour devenir à son tour la norme. La fantasy, comme la télévision, se prête particulièrement bien à une consommation prédigérée, au point que les autres genres se sont conformés à ces modèles. La prolifération des romans situés dans l’univers de Star Trek en est l’exemple le plus frappant. À cet égard, pour reprendre l’hypothèse de Brian Stableford, puisque la pulsion intellectuelle de la SF s’accorde mal avec les longueurs excessives, il est révélateur que certaines séries commencées dans un contexte résolument SF acquièrent une coloration fantasy à mesure que s’accumulent les suites. Mais en cédant à la tentation de la fantasy et de l’étalement sans fin, les œuvres deviennent répétitives et leur structure s’affaiblit.

En conclusion, force est de reconnaître que la « vraie » SF a toujours été minoritaire, et cela en raison même des attentes des lecteurs. 

Source : Champetier, Joël, L'ASFFQ 1997, Alire, p. 212-213.