Parution : Tangence 38, Rimouski, 1992, p. 74-84.
Situant le récit de détection par rapport au roman policier, Richard Saint-Gelais note que le modèle de la détection a souvent été repris par des écrivains du mainstream (par certains nouveaux romanciers comme Robbe-Grillet et Pinget, par exemple) parce qu’il « constitue un véritable dispositif de lecture ». Ceux-ci ont trouvé un terrain propice aux transformations susceptibles de bouleverser les rapports entre texte et lecture. Cela se vérifie aussi chez les auteurs de SF qui ont intégré la structure formelle du roman policier dans leur œuvre. C’est précisément là le sujet de l’essai de Saint-Gelais qui se demande quelles sont les conséquences de cette hybridation de deux genres déjà bien constitués.
Comme « la science-fiction se caractérise par la mise en place d’encyclopédies idiosyncrasiques » que le lecteur de romans policiers ne connaît pas nécessairement, il s’ensuit une modification de la pratique de lecture. L’essayiste prend pour exemple un recueil de récits policiers science-fictionnels d’Isaac Asimov, Asimov’s Mysteries, et démontre que la résolution de l’énigme fait appel à une connaissance d’éléments encyclopédiques inédits par rapport au monde de référence du lecteur, ce qui en fait un récit spécifiquement science-fictionnel qui modifie peu toutefois le modèle du récit de détection et relève le pari intergénérique.
Saint-Gelais analyse deux autres textes, The Door Into Summer de Robert Heinlein et « Le Fantôme du Kansas » de John Varley, pour illustrer comment l’utilisation des possibilités spécifiques de la SF peut favoriser le renouvellement de l’organisation du récit. Dans le roman d’Heinlein, c’est un élément science-fictionnel, le voyage dans le temps, qui se révèle constituer à la fois l’énigme et la solution. Quant à la nouvelle de Varley, elle pousse plus loin la déstabilisation du lecteur car c’est le texte tout entier qui se fait objet de détection. En effet, le narrateur énonce des faits qui semblent familiers au cadre de référence du lecteur mais qui se révèlent finalement étrangers à son monde sans que le narrateur sente le besoin de fournir des explications. Il s’agit là d’une forme d’altérité discrète, troublante et diffuse qui se distingue d’une altérité plus ostensible qui s’affiche lexicalement par l’emploi de néologismes.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1992, Alire, p. 232-233.