Parution : Littérature québécoise. La recherche en émergence, Québec, Nuit blanche éditeur, 1991, p. 177-185.
Consciente que le fantastique est étroitement lié au contexte social, Lise Morin propose une nouvelle typologie pour appréhender le fantastique qui se manifeste dans la littérature québécoise depuis 1960. Comme ce fantastique a peu de choses en commun avec les loups-garous, diables et autres revenants qui peuplent les contes du XIXe siècle, elle croit qu’il convient de distinguer deux courants : l’un à caractère sacré, l’autre à caractère profane.
Avant d’établir leurs différences, l’auteure met en lumière les invariants qui les caractérisent l’un et l’autre. Ces facteurs constitutifs sont au nombre de deux : le facteur qui provoque la rupture du réel et celui qui suggère une ambiguïté. L’auteure en profite pour dissiper un malentendu qui concerne cette fameuse hésitation entre une explication naturelle et une explication surnaturelle, hésitation que Todorov fait reposer sur le lecteur. Pour Lise Morin, « l’expérience déconcertante doit être problématique pour le personnage et non pour le lecteur », ce qui permet alors d’exclure du champ fantastique tout récit relatant un incident étrange qui n’invalide pas le code logique habituel.
L’auteure dresse ensuite un parallèle entre le fantastique et le mythe sous le rapport du sacré, tous deux présentant « une irruption du surnaturel dans la durée temporelle ordinaire (temps profane) ». Puis elle met à jour les éléments archétypaux des récits fantastiques à caractère sacré : une victime terrorisée par la manifestation surnaturelle et forcée malgré elle d’admettre l’existence d’une puissance supérieure, une issue souvent néfaste au héros, la fatalité investie d’une valeur non seulement thématique mais encore organisationnelle puisqu’elle induit un rythme soutenu, générateur de suspense et d’angoisse.
Quant aux récits à caractère profane, ils se caractérisent par l’humour ou une attitude d’indifférence de la part du protagoniste face à un événement étrange. Ils se subdivisent en deux sous-catégories dont la distinction tient à la nature de l’agent fantastique. Dans un cas, c’est une puissance supérieure qui est responsable de l’expérience déroutante vécue par l’humain. Dans l’autre cas, « l’événement insolite procède d’une faculté humaine inconnue » de sorte que le protagoniste lui-même se trouve en quelque sorte élevé au statut de dieu. Dans les deux cas, la conduite du personnage, qui dédramatise l’expérience déroutante, a pour effet « d’oblitérer le fantastique ».
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1991, Logiques/Le Passeur, p. 201-202.