Elaine Després

Parution : Enfances dystopiques, sous la direction de Sylvie Servoise, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023, p. 

En 1980, alors que l’ère du roman nucléaire de la guerre froide s’achève, Russell Hoban fait paraître un roman postapocalyptique et dystopique qui fera école : Riddley Walker (traduit sous le titre Enig Marcheur en français). Incontournable du genre, ce roman est narré par le jeune Riddley Walker, 12 ans, qui vit dans ce qu’est devenue la région anglaise du Kent, un monde détruit il y a plus de 2500 ans par une bombe nucléaire et qui commence à renaître après une longue période de grande noirceur.

Riddley, par sa naissance, est destiné à devenir connexion man, à interpréter les mythes fondateurs de son monde, l’histoire d’Eusa, que le gouvernement diffuse sous la forme de théâtre de marionnettes itinérant, mais son père meurt avant d’avoir terminé son éducation. Le jeune garçon part donc dans une quête initiatique sur les routes, où il entend de nombreux récits qui lui offrent une meilleure compréhension de ses origines et de la nature humaine. Il décide d’écrire ses voyages et ses découvertes pour une société pourtant analphabète, première tentative d’écriture d’un monde qui pourrait ainsi se renouveler, mais dans une langue unique et inventive qui porte non seulement les traces dégradées du monde d’avant, mais aussi celles de l’Apocalypse et des millénaires qui ont suivi : le Riddleyspeak (parlénigme). De récit d’apprentissage, le roman devient celui d’un jeune écrivain. Riddley est la métonymie de ce monde adolescent, en transition, en quête d’identité, tentant de se positionner par rapport aux bribes d’informations qu’il détient sur le passé qui lui a donné naissance. Riddley et son monde partagent une identité en déséquilibre entre l’origine, l’être et le devenir.

Dans cet article, il s’agit de se demander de quelle façon Riddley Walker, en tant que Künstlerroman (roman de l’artiste), place l’enfant artiste au centre d’une réflexion sur l’art du récit et les savoirs que ce dernier médiatise. Par sa curiosité, son inventivité artistique et linguistique et sa capacité d’évoluer, l’enfant représente la possibilité d’écrire un monde qui émergerait de son immaturité, lui offrant un grand récit, une œuvre littéraire sur laquelle se (re)construire. [ED]