Parution : Voix et Images, vol. 1, n˚ 3, Montréal, 1976, p. 374-386.
Réédition : Une lecture d'Anne Hébert, Montréal, Hurtubise HMH, 1977, p. 177-191.
Denis Bouchard s’emploie à démontrer que Les Enfants du sabbat, tout en s’inscrivant dans la continuité de l’univers mythique d’Anne Hébert, introduit un renversement salutaire et essentiel de son approche par la substitution du sérieux par le rire dans une œuvre qui glissait de plus en plus vers la « roideur » et « l’insensibilité ». Il salue le génie de l’auteure qui a su éviter le piège de l’inféodation à la littérature française qui la guettait en recherchant la perfection du style telle que pratiquée dans Kamouraska. Or la « pauvreté des images, les soubresauts du style », reflets du jargon du peuple, constituent aux yeux de l’essayiste une preuve de l’affirmation de son identité québécoise dans Les Enfants du sabbat. C’est le Québec qui se trouve représenté de façon allégorique dans ce roman ballotté entre la sorcellerie et le mysticisme, entre la cabane et le couvent. « Tout l’élément démonographique est la parodie habile de notre modernisme décousu avec ses désordres institutionalisés. Cela fait partie du rire. », affirme Denis Bouchard.
Fondant son analyse sur l’importance des mythes dans l’œuvre d’un écrivain, l’essayiste revisite brièvement les romans et les recueils de poésie antérieurs, et plus particulièrement Le Tombeau des rois, sommet de l’œuvre, pour inventorier les mythes hébertiens. Du côté des personnages féminins, « il y a la fillette curieuse de la faute, aventurière et déçue dans son rêve d’amour, cherchant refuge dans la culpabilité. Puis il y a la femme, la faute travestie en innocence, la femme adultère se réclamant de la vierge, l’irréalité donc du péché, quel qu’il soit, sorte d’état primitif antérieur à la chute ». Les personnages masculins, faibles, fous ou imbéciles, qui « recherchent avidement la sainteté mais vivent dans le mal », incarnent le mythe de l’impuissant voué à la névrose et, ultimement, à la mort. Parmi les autres mythes, notons la famille, lieu d’hostilité permanente, l’univers clos des êtres tenus à l’écart, symbole du cachot psychologique dans lequel ils sont enfermés, et le passage de l’intérieur vers l’extérieur, de la séquestration vers la libération. « Cette libération n’est jamais acquise par le truchement de l’expiation ou de l’absolution mais par celui de l’approfondissement de la faute. »
Source : Janelle, Claude, Les Années d'éclosion (1970-1978), Alire, 2021, p. 428-429.