Parution : Actes du 43e congrès de l'ACFAS, Montréal, 1976, p. 45-48.
Betty Bednarski se penche sur la transition du conte oral au conte écrit à travers huit contes – ou, plus justement, récits autonomes – de Philippe Aubert de Gaspé père, qui représentent à peine une cinquantaine de pages dans une œuvre qui en compte plus de huit cents. L’essayiste souligne d’abord que la sélection de de Gaspé, « qui privilégie un certain type de merveilleux et des récits à forte dose de morale catholique », constitue en soi une première intervention sur le répertoire de la tradition orale. Cela étant dit, elle reconnaît que de Gaspé est de ceux qui écoutent et qu’il se limite à enregistrer la parole du conteur pour la présenter ensuite au lecteur comme une transcription. L’auteur s’efface donc devant le conteur mais ses aspirations littéraires l’emportent parfois sur la fidélité de l’ethnographe.
Cela s’exprime de diverses façons. Ainsi, l’auteur prend souvent la parole, créant une distanciation par rapport au merveilleux. Même si cette distance n’est jamais celle, destructrice, de l’ironie, il s’ensuit une dilution du merveilleux qui empêche la communication d’être totale. Cela est dû au fait aussi que l’auditoire du conteur populaire est composé de représentants de la classe bourgeoise ou aristocrate et que le merveilleux est filtré à travers la conscience éduquée de ces auditeurs cultivés. En outre, Bednarski estime qu’il faut considérer le fait que ces contes sont enchâssés dans une narration romanesque, soumise à la vraisemblance et au réalisme, qui met en contradiction le surnaturel véhiculé par le conteur.
En somme, dans cette étude, Betty Bednarski prend la mesure du caractère paradoxal de la transmission par l’écrit du conte oral car, comme l’a dit Jacques Ferron, « le conte est chose vivante et […] l’écriture, en l’empêchant de mourir, l’empêche aussi de vivre ».
Source : Janelle, Claude, Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 213.