Parution : L'Espace et le temps, Actes du XXIIe Congrès des sociétés de philosophie de langue française, Paris, Vrin, 1991, p. 378-381.
Dans ce court essai, Guy Bouchard se propose de démontrer que l’utopie entretient un rapport complexe avec l’espace-temps contrairement à ce que pourrait laisser croire la définition étymologique du mot qui « risque de l’assimiler à un non-lieu atemporel ». L’essayiste utilise un modèle théorique basé sur quatre éléments pour cartographier le territoire de la fiction dont l’utopie fait partie en incarnant le thème sociopolitique idéalisé : le temps, l’espace, les personnages considérés en eux-mêmes et les personnages considérés par rapport au narrataire implicite. La combinaison de ces quatre microsystèmes engendre 1344 univers fictifs possibles, mais pour délimiter la place effective de l’utopie au sein de cette constellation, il faut enrichir l’ontologie de base. La notion de roman idéique pur ou mixte doit permettre de distinguer les idées sociopolitiques des idées non sociopolitiques et de subdiviser les premières en deux groupes : idéalisées et non idéalisées. Il résulte de cette opération que le nombre d’univers fictifs possibles est porté à 2880, dont 768 relèvent de l’utopie.
Ayant ainsi établi la richesse spéculative de l’utopie, Bouchard réfute l’affirmation de Jacques Rouveyrol pour qui « l’utopie n’a pas sa place en philosophie ». Résultat d’une conception qui nie la puissance historiogène de l’imaginaire et qui sépare stérilement la raison de l’imagination, cette affirmation ne résiste pas à l’analyse car pour Bouchard, l’utopie a une portée philosophique indéniable puisqu’elle s’inscrit dans une démarche hétéropolitique.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1991, Logiques/Le Passeur, p. 190.