Parution : Protée, printemps 1985, Chicoutimi, p. 107-111.
Patricia Willemin analyse les rapports entretenus par le fantastique avec le savoir, savoir de type non scientifique ou narratif, même si la conception du fantastique reste sans doute étroitement liée à l’élaboration d’une théorie de la connaissance. L’essayiste définit d’abord le fantastique traditionnel ou canonique : « dans un monde réel, rassurant, survient un cas, un événement défiant les lois de la raison ». Elle prend ses distances face aux positions de Todorov, se réclamant plutôt de Lyotard. Elle note que le genre fantastique emprunte aux contes de fées le cadre surnaturel mais surtout « le rapport constant à des valeurs morales et le principe du retour à l’ordre ».
Patricia Willemin retient pour les fins de son étude quelques œuvres, surtout anglo-saxonnes, parues entre la fin du XVIIIe siècle, qui marque l’émergence du genre, et le début du XXe siècle. Le Moine de Matthew G. Lewis (1795) cristallise le modèle de la transgression punie et du triomphe de la morale. Mais comme le genre fantastique naît dans une période de régression du surnaturel officiel, certaines œuvres (d’Ann Radcliffe et de Charles Cazotte) introduisent une attitude rationaliste face aux événements surnaturels. Cependant, l’occultisme persiste, même au siècle des Lumières. Avec la parution de Frankenstein, Mary Shelley exprime la crise du savoir scientifique. La créature du docteur Frankenstein démontre « la négativité et le danger de toute quête de connaissance absolue ».
Par la suite, l’auteure relève, chez Poe, des traces de positivisme qui signifient le plus souvent la dénégation d’une surnature, contrairement au Dracula de Bram Stoker. Enfin, les personnages rationalistes de Lovecraft ont par la science la révélation de leur impuissance. Patricia Willemin rappelle en conclusion qu’en plus de l’ambiguïté discursive qui lui est propre, le fantastique apparaît comme une réflexion sur les savoirs et un questionnement du pouvoir cognitif de l’homme.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1985, Le Passeur, p. 167-168.