Parution : Ouvertures, Les Cahiers du Grad 2, Sainte-Foy, Université Laval, 1988, p. 105-121.
Lise Pelletier constate qu’avant 1970, la littérature fantastique demeure un bastion masculin, tant dans ses œuvres que par sa théorie. Pourtant, plusieurs auteurs féminins ont écrit des œuvres fantastiques. Pourquoi leur apport a-t-il été occulté ? Avant de répondre à cette question, Lise Pelletier examine deux positions théoriques face au fantastique. Il y a d’une part les théoriciens comme Todorov et Caillois qui considèrent ce genre dépassé ou totalement figé et proclament sa mort. Lise Pelletier reproche au premier sa conception trop étroite du genre en situant son essence dans l’hésitation du lecteur tandis qu’elle reproche au second son ethnocentrisme qui ne tient pas compte du fait que « l’effet fantastique varie selon les cultures ».
Il y a d’autre part les auteurs et théoriciens comme Jean-Baptiste Baronian pour qui le fantastique a connu au XXe siècle une métamorphose qui l’a amené à être plus intériorisé. Citant Irène Bessière qui affirme que le fantastique « reflète, sous l’apparent jeu de l’invention pure, les métamorphoses culturelles de la raison et de l’imaginaire communautaire », Pelletier considère qu’une telle conception du fantastique propose un espace privilégié aux femmes qui veulent faire éclater les stéréotypes culturels.
Là encore, la conjonction entre le fantastique et le féminisme donne lieu à des conceptions différentes. La conception d’Anne Richter repose sur l’existence d’une psychologie féminine spécifique qui associe naturellement le mode d’appréhension du réel à l’irrationnel, domaine par excellence du fantastique. Lise Pelletier rejette cette conception d’un fantastique féminin qui expliquerait en grande partie, selon elle, l’exclusion des femmes de l’histoire littéraire du fantastique et qui les condamne au ghetto de l’écriture féminine ou au mimétisme, dépourvu d’originalité, de l’écriture masculine.
Elle préfère la conception de Joanna Russ qui considère que la littérature fantastique constitue l’une des rares voies ouvertes à l’écrivaine pour transgresser le modèle culturel de notre société car « le savoir et le caractère des personnages étant cruciaux, les rôles traditionnels y sont souvent inopportuns ». L’essayiste conclut en affichant sa conviction que l’écriture fantastique pourrait devenir l’un des lieux majeurs permettant à l’identité féminine d’exprimer sa différence.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1989, Le Passeur, p. 324.