Parution : Ailleurs imaginaires, Québec, Nuit blanche éditeur, 1993, p. 137-152.
Reynald Bérubé s’intéresse aux liens entre réel (onirique, fictionnel) et réalité, en particulier au fantasme archaïque de toute-puissance dans « Le Fantôme du forum » (1981) de Jean-Pierre April et « La Légende de l’homme à la cervelle d’or » (1869) d’Alphonse Daudet. Pour ce faire, il compare certaines approches théoriques (Jean Bellemin-Noël et Darko Suvin, par exemple) et les juge à l’aune de l’unheimliche ; l’« inquiétante étrangeté » en littérature apparaît, selon Sigmund Freud, beaucoup plus riche que dans la réalité.
La nouvelle de Daudet enchâsse une légende dans une lettre sur le mode réaliste. Or, malgré ses airs de fantastique, le texte renvoie au réel par son contenu. En effet, l’élément mythique de toute-puissance est rapidement refusé au personnage, schizophrénisé par ses parents. Le texte renvoie aussi au réel par sa morale : « l’au-delà du monde visible ressortissait bel et bien du réalisme du réel, pas moins réaliste que celui de la réalité. » (145). Une critique sociale ressort de la nouvelle d’April, dont le héros n’est pas Guy Lafleur, mais Gaston Ratté. Les réussites de Guy Lafleur apparaissent des succès compensatoires et révèlent en fait un rêve de puissance, une autonomie déniée. La SF se pose ici comme une fiction légitimée par le réel et la technologie.
Dans le sillage des thèses de Marthe Robert dans son Roman des origines et origines du roman (1976), Bérubé conclut que le fantastique ressortit du roman de « l’enfant trouvé », qui semble se replier sur lui-même, sinon fuir la réalité. La SF, quant à elle, appartiendrait au roman de l’enfant bâtard, plus « réaliste » et qui affronte le monde selon les données dont celui-ci s’est doté.
Source : Beaulé, Sophie, L'ASFFQ 1993, Alire, p. 207.