Parution : La Nouvelle au Québec, Montréal, Fides, coll. Archives des lettres canadiennes, tome IX, 1996, p. 53-74.
Michel Lord brosse un survol de la pratique nouvellistique québécoise en fantastique et en science-fiction, de 1837 à 1985. En abordant le XIXe siècle, il ne peut se soustraire à l’obligation de départager le conte de la nouvelle. Issu de la tradition orale, le conte, par sa forme simple, appelle la « poésie de la Nature » selon les mots de Jacob Grimm, alors que la nouvelle, qui se construit dans et par l’écriture, est une « poésie de l’Art ». L’étrangeté fait partie de l’ordre des choses dans le conte – l’existence du diable, par exemple, n’est jamais remise en question –, ce qui l’apparente au mythe, à la légende et au merveilleux, tandis que la nouvelle fantastique relève pour une bonne part du réalisme (le surnaturel y est contesté). Lord reconnaît que le conte prédomine au XIXe siècle et il ne donne comme exemple de nouvelle fantastique que « La Maison hantée » de Louis Fréchette.
Du début du XXe siècle jusqu’en 1960, la nouvelle fantastique se fait rare, Ringuet et Yves Thériault étant les seuls à l’avoir à peine pratiquée. La Révolution tranquille favorise cependant l’émergence de différents courants d’écriture. L’esthétique fantastique se manifeste alors de façon foisonnante dans un mélange de canonique, de réalisme magique et d’écriture expérimentale. L’essayiste s’attarde sur le recueil de Claude Mathieu, La Mort exquise, qui conjugue le surréalisme français et le réalisme magique latino-américain, et qu’il considère comme l’œuvre majeure de la décennie. Les quinze années suivantes sont marquées par la prolifération d’entreprises scripturaires baroques, d’expériences de construction/déconstruction de l’écriture. Lord met en lumière la spécificité de plusieurs auteurs de cette période (Louis-Philippe Hébert, Jacques Brossard, Claudette Charbonneau-Tissot, Gilles Pellerin et André Carpentier) à travers un choix de textes importants et représentatifs de diverses manières de dire.
L’émergence de la nouvelle de science-fiction coïncide elle aussi avec la Révolution tranquille. Avant 1960, les rares récits brefs sont dûs à la plume de Jean-Charles Harvey (L’Homme qui va…) et François Hertel. C’est encore Yves Thériault qui donne le ton à la production en inaugurant l’ère des récits catastrophiques en 1962 avec le recueil Si la bombe m’était contée. Puis, au milieu des années 1970 s’amorce un processus de constitution d’un milieu de la SF (création de fanzines, de collections spécialisées, d’un congrès annuel, d’un prix littéraire professionnel) qui s’étalera sur près de dix ans, favorisant ainsi la naissance de la première génération d’écrivains de SF. L’essayiste consacre les dernières pages de son étude à trois d’entre eux, plus particulièrement à Jean-Pierre April dont il relève l’importance de la problématique du simulacre dans ses nouvelles. Utilisant la figure de l’oxymoron pour montrer « l’inversion des valeurs » et ainsi faire éclater la perception de la « réalité », April se fait critique de son temps à travers sa vision du monde très satirique.
Par ailleurs, Lord voit dans l’œuvre d’Élisabeth Vonarburg « une constellation de textes qui problématisent le rapport à soi et, bien évidemment, à autrui » et qui, tout en étant en apparence très réalistes par leur approche psychologique, construisent véritablement un novum. Enfin, il considère que l’œuvre d’Esther Rochon, dont la thématique du labyrinthe déteint sur la forme même du discours, constitue un bon exemple de la difficulté qu’il y a à reconstituer le « paradigme absent » selon l’expression de Marc Angenot. L’essayiste en veut pour exemple la nouvelle « Le Piège à souvenirs » dans laquelle le paradigme socio-historique est donné par fragments.
En définitive, Michel Lord s’emploie, tout au long de son essai, à démontrer que le récit bref, qu’il soit lié à la formalisation et à la représentation de l’étrange (le fantastique) ou de la nouveauté (la science-fiction), participe de la fragmentation du discours, tant dans la forme que dans le contenu.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1996, Alire, p. 227-228.