Parution : Orwell et 1984 : trois approches, Montréal, Bellarmin, 1988, p. 15-80.
Pour éclairer l’œuvre de George Orwell, Jacques G. Ruelland estime indispensable de connaître le contexte socio-économique et politique de l’Angleterre dans la première moitié du XXe siècle aussi bien que les événements marquants de la vie d’Orwell, personnage étrange et difficile à cerner. L’essayiste dépeint ainsi la situation économique difficile de l’Angleterre qui doit se remettre de deux guerres mondiales et l’instabilité politique du pays qui favorise l’émergence des Travaillistes comme parti majeur. Ruelland démontre que le dernier roman d’Orwell s’inscrit dans le « sillage des réformes socio-économiques et morales amorcées par les Travaillistes dès le début de la guerre ».
Cette toile de fond, de même que les expériences personnelles d’Orwell, nourrissent la conception orwellienne du socialisme. Son séjour de cinq ans (1922-1927) en Birmanie comme membre de la police impériale lui ouvre les yeux sur les côtés cachés de l’impérialisme britannique. Plus tard, sa visite dans le nord de l’Angleterre (à Wigan) et sa participation à la guerre d’Espagne comme milicien du P.O.U.M. (Parti ouvrier d’unification marxiste), groupe marxiste dissident, lui permettent d’élaborer une théorie politique dont les grandes lignes étaient arrêtées dès 1936. C’est en Espagne aussi qu’il prit conscience que le Parti communiste était irrémédiablement contre la révolution et que le totalitarisme représentait le plus grand danger pour l’avenir de l’humanité.
Pour Ruelland, 1984 est avant tout une dénonciation de toutes les formes de dictatures, une critique de l’usage abusif de la science et de la technologie détournées de leur utilité fondamentale – servir l’humanité – et un très sérieux avertissement contre les dangers du totalitarisme. C’est en ce sens qu’Orwell incarne, pour Ruelland, « la conscience politique de notre temps ». L’essayiste fait ensuite valoir que l’autre lecture possible de 1984, qui consiste à voir dans ce roman de science-fiction un ensemble de prophéties ou une vision apocalyptique du futur de l’humanité, réduit cette œuvre à une date-fétiche sans compter que le contenu « prophétique » du roman (137 prédictions établies par David Goodman que Gérard Messadié classe en quatre catégories : technologie policière, technologie militaire, sociologie et psycho-neurologie) n’a rien de particulièrement visionnaire. C’est aussi masquer l’importance d’Orwell qui était un des rares écrivains britanniques à prendre parti pour le peuple alors que ses confrères portaient aux nues un Empire britannique en ruine ou se complaisaient dans une littérature foncièrement pessimiste, exposant ainsi l’Angleterre aux dangers du totalitarisme. L’essai est suivi d’une généreuse bibliographie de 17 pages.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1988, Le Passeur, p. 197.