Yves Meynard et Thierry Vincent
Parution : Solaris 114, Ville-Marie, 1995, p. 39-45.
Les deux essayistes poursuivent leur analyse du cycle de la Geste des Princes-Démons en étudiant « les mécanismes d’écriture de Vance et ce, à deux niveaux : celui de la forme littéraire et celui du contenu moral de l’œuvre ». Les auteurs soulignent l’importance du paratexte qui prend diverses formes : les notes infrapaginales, les textes en exergue et divers « documents » manipulés ou vus par Gersen, personnage central de la pentalogie. Ce paratexte fourmille de détails qui contribuent au charme de Vance comme conteur. Ainsi, les notes infrapaginales fournissent des références inventées de toutes pièces qui servent à titiller l’imagination des lecteurs et à mettre en place le portrait social de l’Œcumène tout en constituant un commentaire direct sur le texte. Les textes en exergue – les citations – sont tirés d’œuvres réelles et d’ouvrages imaginaires, ce que Meynard et Vincent appellent des « extraits introductifs » qui constituent une véritable narration parallèle. Les articles tirés de Cosmopolis, du Manuel populaire des planètes, de La Vie du Baron Bodissey rendent compte des idées de Vance sur le journalisme – il représente la vérité et est vu comme l’opposé direct du rêve –, la religion – « une maladie de la psyché humaine » – et l’intelligence.
Pour les deux auteurs, la clé de la Geste se trouve dans les deux derniers textes en exergue, extraits des Chroniques de Navarth par Carol Lewis. L’allusion à Lewis Carroll est transparente et sert l’argumentation des auteurs pour résoudre l’énigme de la mort du dernier Prince-Démon, Howard Alan Treesong. « L’imagination de Treesong, s’exerçant par le langage, parvient à changer la réalité, à accomplir un miracle », de sorte que ce sont les Paladins qu’il a créés dans le Livre des Rêves qui l’auraient tué. Les deux essayistes en arrivent à cette conclusion après avoir aussi relevé plusieurs caractéristiques qui dénotent une progression de la Geste : les bases d’opération des cinq Princes-Démons se déplacent vers le centre de l’Œcumène, ceux-ci se rapprochent graduellement des canons physiques humains, leur origine devient plus claire et leur psychologie plus limpide tandis que le champ d’action de leurs « activités artistiques » se rétrécit avec le temps, passant de la création de monde (Attel Malagate) à la littérature (Treesong), une démarche de plus en plus intérieure. Le fait que Vance ait choisi de donner au dernier livre de la Geste le titre du livre écrit par Treesong constitue une preuve de plus pour soutenir leur hypothèse.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1995, Alire, p. 218.