Paul Bleton

Parution : Revue francophone de Louisiane, vol. III, n˚ 2, Lafayette (Louisiane), 1988, p. 15-24.

Paul Bleton rappelle que le mot uchronie désigne un principe d’écriture narrative reposant sur la distance contre-factuelle du « ET SI...? », qu’il soit irréel (modification d’un événement historique passé et élaboration d’une Histoire parallèle), ou éventuel (anticipation d’une Histoire possible). Le qualificatif « militaire » précise la typologie générique. Ainsi, une uchronie militaire comporte obligatoirement une description de la bataille et la foca­lisation narrative exige que ce récit soit transmis « par le truchement d’un personnage qui peut embrasser la totalité du conflit », contrairement au roman de guerre dont le point de vue du narrateur demeure partiel. En outre, l’uchronie militaire comprend trois types d’énoncés : l’encyclopédie qui vulgarise un ou des aspects du savoir martial ; l’argumentation qui vise à convaincre le lecteur de la justesse de l’opinion politique dont le roman serait la simulation ; le récit qui se donne à lire comme un roman d’aven­tures tout en offrant sous un angle original les motifs canoniques de l’uchronie de façon à permettre à l’imagination du lecteur de dépasser le savoir encyclopédique de l’auteur. 

Bleton explique par la blessure nationale que fut la défaite de 1870 l’émergence des uchronies militaires en France. « Seule l’uchronie, tournée vers l’avenir, vers le possible, permettait au militaire de papier de paraître crédiblement appliqué à la tâche de la Revanche .» L’affaire Dreyfus en 1896, en contribuant à restaurer la fierté de l’Armée, aura pour effet de modifier le schéma classique des uchronies militaires revanchardes dont le capitaine Danrit fut le principal artisan. 

Désormais, le caractère spéculatif et conjectural du genre uchronique, porteur de déterritorialisation par définition, se manifestera pleinement dans les récits de guerres extra-européennes qui déplacent les affrontements sur d’autres continents, encore là sous l’impulsion de Danrit. La race remplace alors la nation comme source de conflits armés, reproduisant en cela le discours scientifique de l’époque, notamment en anthropologie. En conclusion, Bleton ne nie pas que les uchronies militaires contribuent au développement de l’esprit belliciste.  

Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1989, Le Passeur, p. 320.