Parution : Synthèses 2-3, Ontario, 1993, p. 73-80.
Lise Morin analyse « Le Fragment de Batiscan » d’André Belleau en examinant les rapports entre la folie et le fantastique dans ce récit exemplaire. Elle s’appuie sur les recherches théoriques de Jean Fabre pour démontrer comment l’aliénation du personnage principal et narrateur, Jean-Jacques Roussel, l’absurdité de ses perceptions et l’écartèlement de sa conscience entre deux systèmes de pensée contradictoires contribuent à asseoir le fantastique.
Rappelant que le fantastique, selon Fabre, « exploite les vertiges de la conscience divisée », elle montre que l’altération du monde qui entoure le personnage le rend étranger à lui-même, ce qui induit une forme d’aliénation, premier lieu d’ancrage de la folie. Morin met ensuite en lumière la rupture qui existe entre les sens (l’odorat et la vue) de Roussel et le sens (le raisonnement logique) qu’il tente de donner aux événements. Cet écart provoque un affrontement de deux systèmes de pensée contradictoires, l’un remontant à la conscience prélogique de l’homme primitif qui considère que seul existe le monde mythique dont les lois irrationnelles sont malgré tout rassurantes, l’autre reposant sur la pensée logique et rationnelle qui s’efforce de dégager des règles de prévisibilité. C’est au XVIIIe siècle que les deux principes s’entrechoquent et donnent naissance à la pensée moderne, schizoïde et déchirée entre deux modes de pensée, qui coïncide avec l’apparition du discours fantastique comme genre littéraire.
Lise Morin démontre clairement que la folie qui guette Roussel n’en fait pas pour autant un fou, ce qui enlèverait son caractère fantastique au texte, car son raisonnement et les attributs que lui prête Belleau constituent le signe d’une intelligence supérieure. En outre, la somme des coïncidences est trop grande pour qu’une solution logique soit satisfaisante et envisageable.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1993, Alire, p. 225-226.