Parution : imagine… 53, Sainte-Foy, 1990, p. 27-53.
Maureen Cloutier-LaPerrière considère que la pensée « materniste » constitue le dénominateur commun des utopies féministes qui ont vu le jour depuis les années 1970 et que ce concept est incompatible avec les valeurs militaristes véhiculées par les auteurs masculins dans les œuvres de space opera. Elle définit la pensée materniste comme une philosophie de la vie fondée sur le don de la vie, sur l’éducation des enfants et sur la prééminence de l’organisation sociale en fonction des besoins et des plaisirs. Dans les utopies féministes, continue-t-elle, la société fonctionne selon la règle des « trois c » : la collectivité, la compassion et la coopération. Sans chercher à idéaliser la mère, l’éthique materniste vise néanmoins à libérer la femme de l’infernale triade Vierge/Mère/Putain (Vonarburg).
L’essayiste analyse ensuite le rapport à la maternité dans un corpus de neuf utopies féministes : Motherlines et Walk to the End of the World de Suzy McKee Charnas, The Wanderground de Sally Miller Gearhart, The Dispossessed et The Left Hand of Darkness d’Ursula K. Le Guin, Woman On the Edge of Time de Marge Piercy, The Female Man de Joanna Russ et, enfin, Houston, Houston, Do You Read ? et The Women Men Don’t See de James Tiptree Jr.
Elle constate que ces auteures ne partagent pas toutes le même point de vue malgré la philosophie materniste qui les réunit. Ainsi, l’éternel débat nature/culture se perpétue et les divise en utopistes séparatistes (rejet des hommes, instruments de la violence et de la domination) et en utopistes intégrationnistes (ouverture aux hommes dans un esprit d’intégration des attributs naturels et culturels). L’utilisation de la technologie, notamment en matière de reproduction, donne lieu aussi à deux écoles de pensée. Certaines écrivaines comme Piercy perçoivent la fonction biologique de la femme comme étant son meilleur atout dans la « guerre des sexes » tandis que d’autres comme Tiptree considèrent que ce « privilège » de la femme fera toujours obstacle à l’égalité des humains et qu’une technologie qui l’affranchirait de ce déterminisme biologique abolirait aussi les rôles sexuaux.
Cependant, dans toutes ces utopies, il y a valorisation profonde de la terre-mère et des qualités maternelles innées de la femme qui vont définir la philosophie de la société entière et en favoriser l’harmonie. Après avoir ainsi montré que les valeurs du maternisme et du militarisme s’excluent mutuellement, donc que maternité = antimilitarisme, Mauren Cloutier-LaPerrière note que le contraire (militarisme = anti-maternité) n’est pas vrai parce que les institutions militaires ont besoin d’une ressource essentielle, les hommes, et que ce sont les mères qui les leur fournissent.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1990, Logiques/Le Passeur, p. 207-208.