Parution : imagine… 38, Montréal, 1987, p. 8-23
Les deux auteurs proposent une poétique (une pratique) de la critique authentiquement cognitive qui reposerait sur la méthode du « non seulement mais encore ». Cette méthode est fondée sur le principe qu’un texte est constitué autant par ce qu’il exclut que par ce qu’il inclut. En somme, « [...] l’interaction entre le texte et le contexte, entre l’œuvre littéraire singulière et notre monde social commun » doit être prise en compte par la critique. Angenot et Suvin dénoncent la prolifération de la SF idéologique et de la critique idéologique de la SF car pour eux, l’idéologie est sémantiquement vide comme le modèle ludique et monosémique (monovalent) et assertive comme le modèle scientifique.
Dans leur essai, ils définissent l’idéologie comme « [...] les systèmes d’idées et les structures de sensibilité socio-politique qui occultent les fondements réels des relations humaines et ainsi font obstacle à une vie facile ». Puis, ils identifient les indices qui permettent de déceler la présence de l’idéologie dans la critique et la fiction : la haine de la contradiction, contradiction propre à certains auteurs (Heinlein), l’individualisme trivial basé sur la séparation entre la sphère publique et la sphère privée, héritée de l’idéologie bourgeoise dominante, et la fragmentation de l’espace sémantique de cognition qui se traduit par l’absence de disciplines comme l’économie politique dans le discours narratif et critique.
Angenot et Suvin concluent que l’idéologie conservatrice a contaminé la SF et qu’elle donne lieu aujourd’hui à une fantasy anti-cognitive issue de l’ajournement des espoirs utopiques et de la déception socio-politique. Les auteurs déplorent en effet l’absence d’une utopie « ambiguë », sauf pendant une courte période au cours des années 1960, car ils endossent la position de Bloch voulant que « [...] le Principe Espérance utopique est inextinguible, […] et qu’il définit en fait l’Homo sapiens comme autre chose qu’un simple animal ». Un résumé, plus long que celui-ci, et une postface datée de 1987, soit huit ans après la rédaction de cet essai, dans laquelle les auteurs posent le même diagnostic sur la SF et le discours critique qu’elle engendre, complètent cette étude.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 198-199.