Parution : imagine… 25, Montréal, 1984, p. 59-78.
La thèse de Marc Provencher consiste à prouver que « le roman d’Orwell est incapable de soutenir l’esthétique de la science-fiction moderne telle qu’elle est engendrée par le Nous autres de Zamiatine ». Quelle est cette esthétique de la science-fiction moderne ? L’auteur évoque l’évolution du genre SF en choisissant trois œuvres (L’Utopie de Thomas More, Les Voyages de Gulliver de Swift et La Machine à explorer le temps de H. G. Wells) qui représentent autant d’étapes dans la constitution de la spécificité du genre.
Elles sont marquées par une diminution graduelle de l’importance accordée à l’univers empirique (le monde imaginaire créé par l’auteur). Or, le roman de Zamiatine élimine du texte la représentation du monde empirique. Provencher qualifie cette rupture de révolution esthétique qui a contribué à donner au genre de la SF son autonomie esthétique, à laquelle devait correspondre sa reconnaissance en tant que genre institutionnel.
Non seulement l’auteur prouve que George Orwell s’est grandement inspiré du roman de Zamiatine, mais il est d’avis que Nous autres est supérieur à 1984 en raison de l’utilisation du langage et du point de vue du narrateur. Le langage propre à l’univers hétéronomique s’intègre partout dans l’écriture du texte de Zamiatine alors que la novlangue n’est pratiquement pas utilisée dans le texte d’Orwell. En outre, le narrateur de Nous autres se situe d’emblée dans l’univers hétéronomique, ce qui favorise une polysémie interne, tandis que le point de vue du narrateur de 1984 se trouve inscrit dans la société de l’auteur. Il en résulte, aux dires de Provencher, un « texte profondément manichéen », « non polysémique ».
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1984, Le Passeur, p. 131.