Parution : Orwell a-t-il vu juste ?, Sillery, Presses de l'Université du Québec, 1986, p. 231-245.
Pour le sociologue Jacques Lazure, la grande originalité du roman d’Orwell réside dans le fait que son analyse est centrée sur une problématique à la fois culturelle et critique. Avant 1970, rappelle Lazure, la sociologie académique fluctuait entre deux pôles. D’une part, elle se voulait critique et contestataire et mettait de l’avant une approche basée sur l’économie capitaliste et les rapports de classes sociales. D’autre part, elle insistait sur les valeurs et sur les normes institutionnalisées d’une société et affichait peu de sens critique et d’esprit révolutionnaire.
L’esprit critique de l’auteur dans 1984 n’étant mis en doute par personne, Lazure s’applique à démontrer en quoi la problématique d’Orwell est proprement culturelle, plutôt que politique et économique dans son analyse de l’Océania. L’essayiste fait de la doublepensée le concept principal du roman. Or, la pensée, tout comme son instrument nécessaire, la langue, appartient au domaine de la culture. Il montre aussi l’importance qu’attache l’écrivain au subjectif et au passionnel comme révélateurs du vrai visage d’une société. Encore là, l’amour, la sexualité et les désirs constituent des thèmes qui véhiculent une analyse spécifiquement culturelle d’une société totalitaire. Même les prolétaires ne sont pas définis principalement en termes économiques mais en termes culturels.
Lazure conclut que sur le plan épistémologique, Orwell démontre « […] la possibilité et l’efficacité d’une troisième voie d’accès à la connaissance sociale : celle d’une analyse culturelle critique ». L’écrivain remet ainsi en cause, vingt ans avant la plupart des sociologues, « […] le schéma traditionnel droite-gauche, en examinant la dictature et le totalitarisme dans un contexte d’universalité qui déborde amplement la dichotomie classique capitalisme-socialisme ».
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1986, Le Passeur, p. 163.