Maurice Lemire

Parution : Littérature québécoise, voix d'un peuple, voies d'une autonomie, Bruxelles, Université de Bruxelles, 1985, p. 55-66.

Maurice Lemire définit ici diverses catégories de pactes avec le diable en tenant compte de leur dénouement. Si le contrat tourne toujours à l’avantage du diable et que celui-ci dispose de tous les pouvoirs, il ne peut s’agir que d’un pacte tragique de pur effroi. On ne trouve pas dans le corpus québécois du XIXe siècle de contes de ce type, dont le modèle demeure Faust, parce que les écrivains de cette époque « n’écrivent pas pour leur seul plaisir », estime l’essayiste.

Si le marché tourne toujours à l’avantage de l’homme, le diable se trouve réduit au rôle de bouffon. Les contes de pacte comique sont peu fréquents dans le conte littéraire québécois, « Les Trois diables » de Paul Stevens étant le seul exemple que connaisse Lemire. Il estime toutefois que la tradition orale devait en compter un plus grand nombre mais que la tradition littéraire, par souci moralisateur, ne les a pas retenus.

La grande majorité des contes québécois qui reposent sur un pacte avec le diable offrent donc un résultat mitigé, tantôt en faveur du malin, tantôt en faveur de l’homme. Le pacte peut être qualifié d’ironique car les conséquences sont mixtes. Cependant, ces contes com­portent presque toujours un effet moralisateur, car il importe que l’ordre institutionnel soit rétabli et que celui qui a pactisé avec le diable soit puni. 

Lemire analyse ainsi quelques contes dont il fait ressortir l’inten­tion moralisatrice. Dans « L’Homme du Labrador » de Philippe Aubert de Gaspé fils, qui appartient à la sous-catégorie du pacte tragique moralisateur, il démontre que le repentir de Rodrigue, parce qu’il est édifiant, éloigne le conte du pacte tragique de pur effroi. Par ailleurs, il met en opposition « La Chasse-galerie » d’Honoré Beaugrand et les contes de Louis Fréchette, notamment « Titange » et « Tom Caribou ». Il considère que le conte de Beaugrand, par un habile procédé de narration qui joue sur la confusion des discours du narrateur et de l’auteur, fait impunément l’éloge de la fête puisque l’entreprise de Baptiste Durant, couronnée malgré tout de succès, consacre la victoire de la crânerie sur la peur. Le cas est rare. De son côté, Fréchette ridiculise son héros au profit de la censure et de l’ordre puisqu’il est toujours puni, déchu et amoindri dans son corps même.

Lemire se penche aussi sur deux contes mettant en scène des Indiens, « Ikès le jongleur » de Joseph-Charles Taché et « Le Village indien de la Jeune Lorette » de Philippe Aubert de Gaspé père. Il y relève, à la lumière de leur dénouement, un discours implicite qui laisse entendre que « les chrétiens peuvent toujours se repentir tandis que les païens sont voués à la damnation ».

Il conclut son étude en affirmant que « l’aspect moralisateur prime tous les autres » dans le corpus des contes littéraires du XIXe siècle et que même le revers ironique, en réaction à la saturation du quotidien par le sacré, est récupéré par la morale.        

Source : Janelle, Claude, Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 239-240.