Parution : imagine… 49, Montréal, 1989, p. 10-22.
Privilégiant une approche philosophique, Jean-Claude Simard tente de définir la science-fiction en étudiant la relation au temps qu’entretient ce genre littéraire. Il commence par départager la science-fiction de la prospective. La première propose une « projection de l’imagination dans le futur » tandis que la seconde repose sur « des extrapolations rationnelles ». Est-ce à dire que la SF serait sœur de la religion, celle-ci ayant toujours été « liée à une projection imaginée d’une après-vie », nécessairement située dans le futur ? Non, répond l’essayiste car il faut distinguer avenir (« ce qui hantera toujours l’esprit de l’être humain ») et futur (« ces moments non advenus encore, mais qui formeront un jour les alluvions du passé »). L’avenir est le domaine de la religion tandis que la SF nous entretient du futur.
En étudiant le rapport au temps dans les civilisations judéo-chrétiennes et gréco-romaines, Simard constate que la pensée du futur leur est étrangère. Elle apparaît en fait avec la notion de progrès et elle s’appuie sur une mémoire rétrospective car « la science-fiction est la projection, dans un futur anticipé, de la mémoire imaginée du présent ». Elle est littéralement « une archéologie du futur ». Cette caractérisation de la SF amène l’auteur à se pencher sur le fameux paradoxe temporel qui ébranle les principes de base de notre pensée (les principes de causalité, de non-contradiction et d’identité).
Pour le résoudre, les auteurs de SF ont élaboré des conceptions alternatives du temps, notamment l’hypothèse du temps momentanément déformable et la théorie des univers parallèles. Simard démontre que ces solutions sont insatisfaisantes et ne permettent pas de rétablir les principes évoqués plus haut. En fait, pour lui, le paradoxe temporel est le résultat d’un malentendu : il n’existe pas. Reprenant sa définition de la science-fiction (« la mémoire imaginée du présent »), l’essayiste montre qu’elle combine audacieusement deux facultés contradictoires, la mémoire basée sur « la nécessité temporelle rigoureuse » et l’imagination, « domaine de tous les possibles », en relativisant la première.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1989, Le Passeur, p. 245-246.