Avant la constitution du milieu de la science-fiction et du fantastique au Québec à la fin des années 1970, les études sur ces deux genres littéraires étaient plutôt rares. Elles se concentraient essentiellement sur le conte littéraire fantastique du XIXe siècle. Cela s’explique facilement : le corpus fantastique était plus abondant et s’appuyait sur une tradition de plus d’un siècle tandis que la science-fiction québécoise ne pouvait compter sur une masse critique suffisante d’œuvres – pour autant qu’elles soient connues – pour s’inscrire dans le paysage littéraire. De plus, la forme littéraire du conte, que le fantastique emprunte souvent comme véhicule, jouit d’un préjugé favorable chez les universitaires. Ainsi, si le fantastique a acquis ses lettres de noblesse aux yeux de l’institution littéraire, ce n’était pas encore le cas pour la science-fiction dans les années 1970.
Cette mise en contexte éclaire la production des études sur le fantastique et la science-fiction au cours de la période 1970-1978. La prédominance du fantastique se vérifie avec 17 essais ou articles tandis que la science-fiction compte 12 études. Enfin, un essai, celui d’André Belleau sur le personnage de l’automate, puise ses exemples dans l’un et l’autre genre. Il faut signaler aussi la production de huit mémoires ou thèses portant surtout sur le fantastique du XIXe siècle, à l’exception d’un mémoire consacré à une œuvre de science-fiction contemporaine (Emmanuel Cocke). Notons que trois de ces travaux universitaires, « Les Récits légendaires et les êtres de la nuit » de Nicole Guilbault, « La Littérature fantastique au Québec au XIXe siècle » d’Esther Senneville-Chossudovsky et « Le Diable dans les contes québécois du XIXe siècle » de Louise Maheu-Latouche, mentionnés dans certaines bibliographies, sont restés introuvables.
Au-delà des chiffres, un paradoxe apparaît clairement : le discours critique sur le fantastique concerne majoritairement la production québécoise du XIXe siècle, les deux seuls sujets contemporains étant Les Enfants du sabbat d’Anne Hébert et les deux premiers livres de Michel Tremblay, Contes pour buveurs attardés et La Cité dans l'œuf. À l’inverse, les études sur la science-fiction se penchent sur la production relativement récente, essentiellement anglo-saxonne et française. Cette même dichotomie se reflète dans les trois mémoires trouvés.
La période 1970-1978 marque l’entrée en scène de deux essayistes importants dont la réflexion théorique sur la science-fiction contribuera à la connaissance et à la reconnaissance du genre. Guy Bouchard établira sa réputation grâce à ses travaux sur l’utopie, le féminisme et la science-fiction. Quant à Élisabeth Vonarburg, ses thèmes de prédilection que sont le rapport au corps, la condition féminine, le déterminisme des genres et les relations hommes/femmes auront tôt fait de l’imposer comme théoricienne, mais surtout comme écrivaine de science-fiction.
Une autre contribution marquante en science-fiction pour cette période est celle de Marc Angenot. En 1978, il livre un essai savant très dense en développant, par l’entremise de la sémiotique dont il est un maître, le concept de paradigme absent qui aura une grande influence sur les théoriciens de la littérature dans leur quête pour cerner l’esthétique de la SF.
Un autre acteur de l’éclosion des littératures de l’imaginaire au Québec fait son apparition au cours de la période 1970-1978. Il s’agit du fanzine Requiem dont l’apport à la production des études (cinq) demeure modeste mais significative, étant donné la participation d’Élisabeth Vonarburg à trois d’entre elles. Pour le reste, la grande majorité des études provient d’actes de colloques et de revues universitaires savantes telles que Voix et Images, Études françaises et Études littéraires.
Pour être recensées dans la présente section, les études devaient être écrites en français par des personnes ayant la citoyenneté canadienne. Par contre, les sujets d’études ne se limitaient pas à la production francophone au Canada. En vertu de cette politique éditoriale, la contribution de Darko Suvin – nonobstant son importance reconnue – ne fait pas partie du corpus répertorié, son essai Pour une poétique de la science-fiction ayant été rédigé initialement en anglais et traduit par Gilles Hénault.
Source : Janelle, Claude, Les Années d'éclosion (1970-1978), Alire, 2021, p. 421-422.