Reverrons-nous jamais le niveau de production de l’année 1985, exceptionnelle à tous points de vue (en quantité et en qualité), alors que l’on comptait 38 études ? Les chiffres ne disent sans doute pas tout. Ce qui sauve l’année 1988 du désastre, c’est la publication de deux ouvrages importants sur la science-fiction, Écrits sur la science-fiction de Norbert Spehner et Orwell et 1984 : trois approches, et d’un presque troisième sur le fantastique. En effet, le livre de Bertrand Bergeron, Au Royaume de la légende, contient des chapitres qui concernent directement le fantastique (ou le surnaturel chrétien) en abordant les diverses figures bénéfiques et maléfiques de la tradition orale de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Cette production livresque est un signe de la vitalité de la SF et du fantastique dans le milieu professoral.
L’ouvrage de références bibliographiques de Spehner, qui recense les études et les essais sur la science-fiction en littérature et au cinéma, publiées entre 1900 et 1987, constitue le pendant naturel à celui qu’il avait publié en 1986, Écrits sur le fantastique. Quant aux trois essais sur Orwell réunis en volume et signés par Guy Bouchard, André Rocque et Jacques G. Ruelland, ils confirment l’actualité et la popularité de 1984. Orwell demeure vraiment l’auteur préféré des théoriciens et des commentateurs d’ici. Déjà, en 1986, Orwell a-t-il vu juste ?, actes d’un colloque consacré à Orwell en 1984, avait présenté une douzaine d’approches originales de l’œuvre du célèbre auteur britannique. Le sujet n’était pas encore épuisé puisque les essais des trois professeurs apportent un éclairage nouveau sur cette dystopie classique.
Il semble même qu’il s’agisse là pour Guy Bouchard d’une occasion de présenter une synthèse de ses travaux des dernières années puisqu’on y retrouve ses préoccupations théoriques sur la science-fiction et sur le roman, une étude des rapports qu’entretient l’utopie avec la SF, une analyse de la pensée féministe, toutes notions qui servent à l’auteur pour établir avec brio la portée du roman d’Orwell et en faire voir l’incandescence. Depuis plusieurs années, Guy Bouchard s’impose comme le chercheur le plus constant et le plus brillant dans le domaine de la SF et de l’utopie. Sa production de 1988 le prouve éloquemment, tant par l’ampleur de ses essais que par la rigueur de sa méthodologie.
Statistiquement, l’année 1988 apparaît donc décevante avec 18 textes théoriques inédits (les trois essais sur Orwell inclus), une réédition et une traduction, comparativement à la production de 1987, elle-même en baisse, qui s’élevait à 27 études (chiffre révisé à la lumière du Supplément 1987). On ne peut manquer de remarquer la quasi-disparition de la revue imagine... de ce champ d’intérêt alors qu’elle prétendait, pas plus tard qu’en 1986 dans son numéro double 33/34, être l’équivalent francophone de Science Fiction Studies. Elle n’a publié qu’une étude en 1988, les autres contributions de son numéro Regards (numéro réservé à la théorie) étant le fruit du travail de Richard Comballot et Roger Bozzetto, deux commentateurs français qui présentent un dossier sur Serge Brussolo.
Par contre, la revue Solaris a publié six articles de fond ou études sur des auteurs (Kuttner/Moore, Jonathan Carroll) et sur des genres (l’horreur fantastique, la SF pour jeunes). Cette production assez étonnante a surtout permis de révéler la connaissance encyclopédique de Guy Sirois. Son apport comme historien de la science-fiction pourrait être des plus intéressants s’il persiste.
Enfin, l’analyse de la production théorique met en lumière l’importance de plus en plus reconnue de la contribution de L’ASFFQ comme ouvrage de référence incontournable pour les chercheurs, ceux qui étudient le corpus de la science-fiction et du fantastique. Cette contribution est manifeste dans l’article de Daniel Sernine sur l’historique de la SFQ et dans l’étude de Stanley Péan sur le fantastique maléfique québécois. Quant à Philippe Gauthier, son analyse de la production québécoise de SF repose essentiellement sur les chiffres des quatre premières éditions de L’ASFFQ tandis que l’étude de Sophie Beaulé, pubiée en 1987, puisait abondamment à cette source. Il faut souligner également les travaux d’André Carpentier et de Denis Martineau, diffusés lors du congrès Boréal 9 mais encore inédits, qui utilisaient l’appareil critique et les données de L’ASFFQ.
Certains ont même soutenu que la recension des études comportait un oubli important puisque l’édition de L’ASFFQ n’y figurait pas. L’argument est techniquement valable et qu’on ait songé à mentionner ce fait nous réjouit. Cependant, nous ne pouvons nous résoudre à inclure une recension de L’ASFFQ dans cette partie sans avoir l’impression de faire notre autopromotion. En outre, la nature des recensions – un résumé des textes et non une critique des idées ou des thèses qu’ils défendent – ne se prête pas tellement à cet exercice, croyons-nous à tort ou à raison.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1988, Le Passeur, p. 185-186.