Après avoir culminé au milieu des années 1980, la production québécoise d’études sur la science-fiction et le fantastique indique un net déclin. L’année 1990 en témoigne brutalement : seulement quatorze textes ont été publiés, ce qui ne s’est jamais vu depuis l’existence de L’Année…

À quoi attribuer cette baisse ? Au désintérêt de l’institution universitaire pour la science-fiction et le fantastique ? À la disparition des congrès Boréal ? À l’absence d’une véritable revue de théorie qui se consacrerait à l’étude de ces deux genres littéraires ? Il y a sans doute une part de chacun de ces éléments dans la réponse. La science-fiction comme objet d’étude dans les institutions universitaires et collégiales ne donne pas des signes évidents de progression. La mise en veilleuse des congrès Boréal, qui fournissaient souvent une tribune (une raison) pour investir temps et énergie dans la préparation d’une communication savante, a eu pour effet de tarir la source à laquelle s’alimentaient les revues spécialisées comme imagine… (surtout) et Solaris. Enfin, il faut bien constater que les parutions d’études en 1990 sont concentrées dans quelques revues, tandis qu’au cours des années fastes, une multitude de périodiques littéraires (ArcadeProtéeXYZNuit blancheMoebiusDires, etc.) publiaient un ou deux essais ou articles de fond.

Cependant, la production théorique dépend d’abord et avant tout des per­sonnes qui en sont à l’origine. Or, celle-ci souffre d’un manque de continuité dans le travail des chercheurs ou théoriciens. À part Guy Bouchard dont la régularité et la persévérance sont exemplaires (encore trois études cette année), il n’y a pas d’autres voix qui se font entendre régulièrement. Jean-Marc Gouanvic et Michel Lord, qui pouvaient prétendre à cette constance il y a quelques années, se font de plus en plus rares et canalisent leurs énergies ailleurs.

En somme, comme les créateurs du milieu de la SF et du fantastique, les essayistes ressentent les effets du courant d’individualisme qui souffle sur le milieu depuis quelque temps. Cette attitude affecte particulièrement la production théorique, la production de fictions étant si diversifiée et si répandue que le milieu se désintégrerait et disparaîtrait que la science-fiction et le fantastique québécois ne seraient pas nécessairement menacés dans leur expression. En fait, je dirais même que l’existence d’une production théorique minimale est plus importante que l’existence du milieu car elle joue un rôle essentiel de légitimation de l’expression artistique dans ce domaine.

C’est pourquoi il faut se réjouir que les œuvres des écrivains québécois suscitent des mémoires de maîtrise ou des thèses de doctorat. S’il y a un élément encourageant dans le bilan de l’année 1990, c’est bien celui-là. La revue imagine…, dans son numéro annuel consacré aux études, publie en effet quatre textes tirés des mémoires de maîtrise de Maureen Cloutier-LaPerrière, Hélène Colas de la Noue, Georges Desmeules et Andrée Lotey. À ce groupe s’ajoute Lise Pelletier dont le mémoire de maîtrise sur le récit fantastique féminin a été publié dans Les Cahiers de recherche du GREMF. Mais ces intéressantes contributions n’auront de sens que si ces mêmes personnes publient d’autres essais au cours des prochaines années. Rien n’est moins sûr. La continuité, disais-je…

Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1990, Logiques/Le Passeur, p. 203-204.