Le champ d’études couvert par L’Année… a suscité trois livres en 1992, ce qui est tout à fait exceptionnel, d’autant plus que leur qualité ne fait pas de doute. Il y a d’abord la Bibliographie analytique de la science-fiction et du fantastique québécois (1960-1985), fruit du travail d’une équipe de chercheurs de l’Université Laval dirigée par Aurélien Boivin, Maurice Émond et Michel Lord. Puis, un essai philosophique de Guy Bouchard sur L’Utopie de Thomas More ayant pour titre Femmes et pouvoir dans la « cité philosophique ». Enfin, une étude universitaire très savante de Brigitte Purkhardt, La Chasse-galerie, de la légende au mythe.
À cette production livresque s’ajoutent 21 articles parus dans des revues littéraires ou universitaires, ce qui fait de 1992 une excellente année dans le domaine des études consacrées à la science-fiction et au fantastique. La prédominance de ce dernier comme objet d’étude en 1991 a été de courte durée puisque l’année 1992 montre l’exact renversement du ratio (17/4) en faveur de la SF. Il s’agit là d’un juste retour des choses, semble-t-il, puisque la SF suscite toujours plus d’études que le fantastique. À cet égard, la production de 1991 demeure donc une anomalie.
D’autres indicateurs éloquents, comme la qualité des essais, la diversité des sujets abordés, la continuité des essayistes reconnus et l’émergence de nouvelles voix théoriques, renforcent le bilan positif de 1992. Ainsi, trois des théoriciens québécois qui ont le plus écrit sur l’un ou l’autre genre au Québec, Guy Bouchard, Michel Lord et Élisabeth Vonarburg, signent à eux seuls dix études. En plus de ses cinq essais et de son livre, Bouchard dirige un numéro des Cahiers du GRAD (Groupe de recherches en analyse des discours) ayant pour thème Images féministes du futur. Quant à Vonarburg, même si sa production romanesque passe au premier plan, elle n’en poursuit pas moins depuis des années une réflexion sur la SF, l’utopie et le féminisme (thèmes de prédilection également de Bouchard) qui prend souvent sa source dans son expérience personnelle d’écrivaine et de grande lectrice. Cette réflexion s’enrichit ici de trois études. Enfin, Lord, spécialiste du récit bref et du fantastique, continue son petit bonhomme de chemin dans des sentiers peut-être moins fréquentés et des revues plus difficiles d’accès pour le commun des mortels et même pour l’aficionado du fantastique mais il persiste et signe !
La continuité se vérifie aussi du côté des deux revues professionnelles. À l’intérieur de ses numéros réguliers, Solaris a trouvé le moyen de placer cinq études tandis qu’imagine… publie un numéro consacré aux textes théoriques (Regards), numéro quelque peu décevant toutefois puisqu’il ne contient que trois essais.
La diversité des signatures atteste également la vitalité du discours théorique. La présence d’essayistes connus pour leur production occasionnelle (Jean-Pierre April, Sophie Beaulé, Michel Lamontagne, Lise Morin et Lise Pelletier) et de nouveaux noms (Benoit Girard, Marie-Josée Morin, Richard Saint-Gelais, Brigitte Purkhardt et Jacques Vaillancourt) compose un heureux mélange qui se traduit par une production très substantielle et diversifiée.
Si le nombre d’études au fil des ans ne tend pas à augmenter, on remarque toutefois que le discours se fait plus ample et plus ambitieux. Il n’est pas rare de trouver des textes d’une trentaine de pages ou des sujets qui méritent qu’on leur consacre un livre. C’est ainsi que se constitue patiemment un discours théorique qui ne saurait précéder la production romanesque, mais dont celle-ci ne saurait en revanche se passer si elle prétend s’inscrire à part entière dans le corpus littéraire québécois.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1992, Alire, p. 211-212.