Une production de douze études ou courts essais, à laquelle s’ajoute une thèse de doctorat sur le rôle des indéterminations dans la lecture du fantastique, voilà un bilan annuel bien modeste pour l’expression du discours théorique et cognitif sur les genres de l’imaginaire. Mais il suffit souvent d’un événement structurant ou rassembleur – la publication des actes d’un colloque, un numéro spécial d’une revue – pour que la production annuelle des textes d’analyse et de théorie passe de modeste à abondante. Ce ne fut pas le cas en 1994.
Depuis plusieurs années, la revue imagine… consacrait un de ses quatre numéros annuels à des études sur la science-fiction ou le fantastique. Or ce numéro (69) ne compte que trois études et, qui plus est, deux d’entre elles portent sur le cinéma, domaine dont L’ASFFQ ne traite pas. Le seul article retenu est celui de Denis Brunelle, un texte sans plan et sans effort de réflexion qui illustre bien l’adage : « Qui trop embrasse mal étreint. » C’est franchement gênant quand on le compare aux contributions de Guy Bouchard et d’Élisabeth Vonarburg, deux essayistes dont la rigueur intellectuelle, le sens de l’analyse et l’originalité du propos en font des théoriciens indispensables en science-fiction. Leurs textes ne sont pas toujours faciles à dénicher et paraissent parfois dans des lieux auxquels on ne pense pas spontanément, telle cette revue Philosophiques qui accueille un texte de chacun d’eux.
Et que dire des préfaces ou postfaces qui accompagnent la publication d’anthologies ? Celles que signe Élisabeth Vonarburg sur Marion Zimmer Bradley et Philip K. Dick constituent des synthèses de l’œuvre d’un auteur qui participent à part entière à l’enrichissement du discours analytique sur la littérature de science-fiction.
La surprise, en 1994, est cependant venue de Solaris qui s’est prise momentanément pour imagine…en publiant quatre études signées par des noms peu connus, à l’exception de l’indispensable Guy Bouchard, pour leur contribution à l’analyse discursive des littératures de l’imaginaire : Linda Bonin, Pierre Corbeil et le tandem Yves Meynard/Thierry Vincent.
Linda Bonin aborde le thème du désir et de la transgression dans Coquillage d’Esther Rochon, une écrivaine québécoise fort prisée dans les cercles d’études universitaires. Pour sa part, Pierre Corbeil se penche sur l’uchronie, un sous-genre de la science-fiction peu traité chez nous par les théoriciens – quoiqu’il ne faudrait pas oublier qu’imagine… a publié en 1982 un numéro (14) sur ce type de récits. Corbeil est bien placé pour en parler, ayant lui-même publié quelques nouvelles uchroniques par le passé.
Moins populaire que la science-fiction dans le champ de l’analyse littéraire – alors que c’est le contraire dans la production des œuvres de fiction –, le fantastique continue d’alimenter la réflexion de Lise Morin dans ses travaux universitaires. Depuis quelques années, celle-ci s’impose comme une fine analyste du récit fantastique sous l’angle de la mince ligne de démarcation qui sépare la raison de la folie. C’est sur cette ligne que marche le fantastiqueur, contraint de maintenir un équilibre essentiel aux conditions d’existence du genre. Et Lise Morin puise, de surcroît, ses exemples dans le riche corpus québécois.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1994, Alire, p. 211-212.