Prolixe et diversifiée au cours des années 1980 (un total de 169 études et articles de 1984 à 1989 inclusivement, soit une moyenne de 28 textes par année), la production critique semble marquer le pas au cours de la décennie suivante puisque la moyenne annuelle des études est légèrement inférieure à 18 (159 études en 9 ans). L’année 1998, avec seulement huit essais et un livre, fait piètre figure dans ce tableau. Mais celui-ci est-il aussi désolant qu’on pourrait le croire ?
Il faudrait pouvoir raffiner ces statistiques en examinant de plus près le sujet d’étude de ces textes. Peut-être que les essais consacrés au corpus québécois n’ont pas diminué et que ce sont les articles portant sur les auteurs anglo-saxons (les maîtres écrivains et leurs œuvres qui avaient pour fonction de légitimer la pratique de la SF en terre québécoise au moment de son implantation) qui ont fait les frais de cette diminution ?
Quoi qu’il en soit, on peut affirmer d’emblée qu’il y a eu au cours des années 1990 une évolution du discours critique qui se reflète dans la production des ouvrages consacrés à la science-fiction et au fantastique : 12 livres ont paru au cours de cette période contre quatre au cours des six années précédentes. On publie en général moins de textes théoriques mais l’ampleur de certains travaux d’analyse est telle qu’on doit leur consacrer un livre. Curieusement, le même phénomène se manifeste dans la production des textes de fiction alors que le nombre de romans a augmenté en même temps que le nombre de nouvelles diminuait au cours de cette même période. Y a-t-il un lien entre les deux phénomènes ?
Dans les deux cas, il y a là un effet attribuable, à mon avis, à la maturité à laquelle est parvenue la production de SF et de fantastique au Québec. On n’éprouve plus le besoin de justifier l’existence de ces genres par le discours théorique en investissant le maximum de lieux éditoriaux, ce qui était le propre d’un mouvement littéraire encore au stade de l’adolescence. Moins éparpillé au cours des années 1990, le discours critique est davantage le fruit d’une longue réflexion qui aboutit sur la publication d’un essai qui a la prétention de vider le sujet qu’il aborde.
L’envers de cette médaille, c’est que la science-fiction et le fantastique ne sont guère présents maintenant dans les revues universitaires et, de façon plus globale, dans les périodiques culturels au sens large. On le voit nettement en examinant les contributions de cette année : tous ceux qui ont publié un article ou une étude proviennent du sérail de la SF et du fantastique : Michel Lord, Guy Sirois, Thierry Vincent, Frédérick Durand (à qui l’on doit l’étude la plus stimulante de l’année), Joël Champetier et même Maurice Émond. Une seule exception : Rachel Bouvet qui a publié Étranges récits, étranges lectures. Un livre sur le fantastique. C’est le livre désormais, davantage que l’article circonstanciel ou de commande, qui semble désigné comme fer de lance de l’ouverture des consciences au novum et à l’inquiétante étrangeté.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1998, Alire, p. 197-198.