Sur le plan des textes théoriques, la production de l'année 1987 ressemble beaucoup, par sa taille, à celle de l'année précédente. Ainsi, le nombre d'études ou d'articles consacrés à la SF et au fantastique en 1987 s'élève à 25 (sans compter une réédition) tandis qu'en 1986, on comptait 27 textes inédits et une bibliographie publiée sous forme de livre.

Néanmoins, cette modeste contribution à la théorie des genres ne doit pas inquiéter outre mesure. Je l'ai dit l'an dernier : deux groupes de chercheurs sont à l'œuvre dans le champ littéraire qui nous intéresse, l'un à l'Université du Québec à Trois-Rivière, l'autre à l'Université Laval. Le premier, sous la direction de Jean-Marc Gouanvic, a pour sujet « Mutations sociales à caractère scientifique et technologique dans la littérature québécoise de science-fiction (1839-1984) ». Le second, sous la responsabilité d'Aurélien Boivin, Michel Lord et Maurice Émond, a pour objectif général la production d'une étude historique, thématique et narratologique du fantastique et de la science-fiction au Québec, de 1960 à 1985.

En outre, je note que le discours critique en 1987 s'exprime à travers plusieurs voix, ce qui démontre la popularité des deux genres auprès des chercheurs universitaires. Un intéressant groupe de vingt personnes se partage la production des textes théoriques. C'est dire que la majorité des spécialistes connus pour leurs recherches en SF et en fantastique se sont manifestés dans les revues au cours de cette année : le tandem Marc Angenot/Darko Suvin, Guy Bouchard, Jean-Marc Gouanvic, Michel Lord et Aurélien Boiviin. Voilà qui est de bon augure pour la constitution d'une tradition critique dans ce domaine, d'autant plus que nombre d'entre eux sont les étudiants actuellement inscrits en maîtrise ou au doctorat dont la thèse porte sur la SF ou le fantastique québécois.

Par ailleurs, il faut mentionner un phénomène qu'on a déjà relevé par le passé et qui ne semble pas vouloir s'épuiser. Il s'agit de la fascination qu'un sous-genre exerce chez les gens qui tentent de cerner le rapport qu'entretient l'art, et singulièrement la littérature, avec la vie. Je veux parler, bien sûr, de l'utopie qui n'a de cesse d'interpeler quiconque s'intéresse aux idéologies. C'est que l'utopie, pour reprendre l'opinion de Bloch, « loin de se limiter au domaine sociopolitique au sens strict, englobe l'art sous toutes ses manifestations, toute espèce d'anticipation culturelle, tous les domaines du travail hurmain ». (Bouchard, U•Topos, p. 69).

L'utopie suscite régulièrement des numéros spéciaux dans les revues, et l'année 1987 ne fait pas exception à la règle puisque deux publications en ont fait leur thème : le numéro 33 de Moebius et un ouvrage de la Galerie d'Art de Matane. Ce dernier cas est particulièrement intéressant parce que cette publication, U•Topos et les tiroirs de l'utopie, contient les actes d'un colloque qui devait se tenir en 1986 à Matane mais qui n'a pas eu lieu, faut d'argent. Ce legs est précieux puisqu'il rend accessible cinq études très pertinentes.

Il faut aussi signaler la parution d'un numéro double des Cahiers pour la littérature populaire édité par une association française, le Centre d'Études sur la Littérature populaire, qui traite de la littérature populaire au Québec sous toutes ses formes. Cette heureuse initiative enrichit la production théorique de trois études.

En somme, le discours critique universitaire prend toutes les tribunes qui s'offrent à lui, revues savantes, magazines littéraires, mass media, tout en étant de plus en plus absent des revues spécialisées – seulement quatre études publiées par le trio imagine…, Solaris, Carfax. Doit-on s'en réjouir ou s'en alarmer ? Je ne crois pas qu'il s'agit là, pour le moment du moins, d'un symptôme négatif. L'expérience d'imagine…, qui a suspendu la production de ses deux numéros annuels consacrés à des études pour accorder la priorité à la fiction, prouve tout simplement qu'une revue dont la politique éditoriale serait basée sur la diffusion du discours critique spécifique à un genre n'est pas encore viable au Québec. Il ne faut pas s'en étonner quand on constate qu'en France, dont la population représente six ou sept fois celle du Québec, la revue Science-fiction n'a tenu que huit numéros.

Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 197-198.