Parution : Nord 7, Sillery, 1977, p. 85-116.
Dans cette analyse stylistique, Line Gingras s’efforce de faire ressortir le propos parfois déguisé de Pamphile LeMay dans son recueil Contes vrais. Pour ce faire, elle a recours aux ressources de la linguistique en étudiant les réseaux de coordination à l’œuvre dans les récits de LeMay tels que définis dans l’ouvrage de Conrad Bureau, Linguistique fonctionnelle et stylistique objective. Un réseau de coordination est « constitué par une suite de syntaxèmes de même niveau et de même fonction » ou, si l’on préfère, par une série de monèmes qui composent une énumération. L’auteure estime en effet qu’« un réseau de coordination est l’un des “surcodages” où se manifeste l’individualité de l’écrivain, son style ». Aussi va-t-elle s’attarder uniquement aux réseaux les plus significatifs, soit ceux qui comptent au moins quatre éléments.
Ce cadre théorique étant établi, elle passe en revue l’un après l’autre les vingt et un récits qui composent Contes vrais afin d’y débusquer le discours sous-jacent élaboré par LeMay en marge du contenu apparent véhiculé par l’intrigue. S’y dessine alors le portrait d’un homme qui aime célébrer la nature, qui cultive le goût de la fête, qui dénonce les méfaits de l’argent ou de la richesse (le péché d’avarice, plus que tout autre, est sévèrement puni), qui ne perd pas une occasion de défendre l’Église et la religion, qui chante les vertus de l’amour. (Incidemment, la présente énumération est un réseau de coordination d’indice 5.) D’autres thèmes sont également mis en évidence par cette étude stylistique : le patriotisme (rappel des événements historiques de 1837-1838), l’exil aux États-Unis, la pauvre condition humaine.
Il ressort en fin de compte de l’analyse de Line Gingras que LeMay, « même lorsqu’il semble mettre en scène le surnaturel, s’en sert plus ou moins comme d’un prétexte à un autre propos, souvent sans aucune relation avec les interventions divine ou satanique ». Elle en arrive à cette conclusion parce que les réseaux de coordination, dans plusieurs cas, plutôt que de contribuer à créer le mystère propre au fantastique ou au surnaturel et d’appuyer le sujet premier du conte, se mettent au service d’un discours, inconscient ou non, qui a tendance à se tapir dans de longues digressions sans rapport avec l’intrigue.
Source : Janelle, Claude, Le XIXe siècle fantastique en Amérique française, Alire, p. 235-236.