Parution : Voix et Images 55, Montréal, 1993, p. 32-150.
Le fantastique repose sur des stratégies spécifiques, affirme Lise Morin qui se livre dans cet article à une minutieuse analyse des rouages techniques à l’œuvre dans la nouvelle « Les Messagers de l’ascenseur » de Gaétan Brulotte.
La première partie examine les questions d’objectivité et de subjectivité pour en faire ressortir la visée persuasive. En effet, le narrateur désire convaincre le lecteur de la légitimité de son point de vue, de sa sincérité. Morin se penche sur les principaux signaux textuels, c’est-à-dire les formes verbales, les métaphores et comparaisons, la ponctuation et les marques de fantasticité, par exemple. Elle recense ainsi de nombreux déictiques marquant la subjectivité (150 « je », par exemple), note les figures de style qui orientent la lecture et analyse les « connotateurs de fantasticité » comme « c’est épouvantable » ou « on dirait ».
La seconde partie soumet la nouvelle de Brulotte au découpage sémiotique basé sur les programmes narratifs d’Algirdas-Julien Greimas. Morin souligne que le héros-victime agit sous l’influence d’agents indéterminés, et que les destinataires sont divisés quant aux conclusions à tirer de la situation. La critique applique ensuite le « code herméneutique » développé par Barthes. Ce code inclut cinq éléments, soit la position, la formulation, le leurre, le blocage et la solution ; il s’agit autant d’éléments qui rapprochent le fantastique du policier, et qu’on retrouve dans le texte de Brulotte. Dans celui-ci, le mystère s’épaissit à la fin au lieu de s’éclaircir. Cette partie se conclut sur une remarque relative à la complexe syntaxe narrative, car la nouvelle comprend trois niveaux narratifs, dont chacun d’entre eux remet en question le niveau précédent.
La dernière partie examine la façon dont s’actualise la dimension idéologique, plutôt subversive ici, par l’entremise des isotopies culturelles qui parcourent la nouvelle. Morin repère d’abord l’isotopie de l’écriture (héros qui lit et écrit, par exemple). « Dévaluée dans l’univers de la fiction où elle entretient des rapports farfelus avec la réalité, l’écriture ne ressort pas indemne de l’aventure, si bien que la nouvelle elle-même, en tant que produit littéraire, devient un objet de suspicion. » (p. 150) La critique étudie enfin le code social présent dans le texte brulottien, où l’asociabilité apparaît un état condamnable, qui s’expie par une marginalité encore plus prononcée.
Source : Beaulé, Sophie, L'ASFFQ 1993, Alire, p. 226.