Parution : Requiem 20, Longueuil, 1978, p. 22-24, 26-27.
La lecture de l’essai de Darko Suvin, Pour une poétique de la science-fiction, et la longue fréquentation des œuvres qui relèvent du discours conjectural ont alimenté la réflexion d’Élisabeth Vonarburg pour la rédaction de cet article. L’écrivaine et théoricienne s’interroge sur la nature de la science-fiction et se demande s’il y a une écriture spécifique à ce genre.
Elle souscrit d’emblée au fait que la SF est une littérature distanciée, à la fois par la projection dans le futur qu’elle propose généralement et par l’existence, implicite ou explicite, d’une société différente de celle que connaît le lecteur. En outre, la SF doit jouer de contrastes : « pour être perçu, l’autre doit se détacher sur du Même ». Une fois cette assise posée, l’essayiste examine ce qui se passe dans le discours conjectural au niveau lexical/sémantique. À l’aide d’exemples et de citations, elle montre que l’invention de mots-concepts et la transformation du sens de mots connus induisent un effet de distanciation, mais ces procédés ne sont pas exclusifs à la SF puisqu’ils sont aussi utilisés en poésie notamment. Même l’invention d’une langue dans la SF portant sur les contacts avec les extraterrestres n’est pas l’apanage de la SF.
L’effet de contraste peut aussi être créé par l’utilisation dans un même paragraphe de deux niveaux de langue, la langue littéraire et la langue scientifique. De même, la technique de la mise en abyme (le récit dans le récit), le recours à des procédés typographiques (italiques, absence de ponctuation, etc.) et le support des idéogrammes sont autant de moyens utilisés par les auteurs de SF « pour mettre en contact deux ordres de réalité » sans pour autant qu’ils leur soient propres.
Si, comme le soutient Darko Suvin, la SF partage avec le mythe, le conte merveilleux et le récit fantastique ce caractère distancié, Élisabeth Vonarburg affirme que la SF ne partage pas avec ces genres certaines techniques de distanciation comme le contraste entre la langue littéraire et la langue scientifique. Ainsi, la SF se définirait, « non par son essence cognitive, mais par ses techniques qui lui permettent de ménager au maximum la distanciation actualisant cette capacité cognitive ». Si la SF entretient une parenté avec le mythe, estime Vonarburg, elle « serait alors l’illustration d’un mythe moderne, dont l’élément stable (“éternel”) ne serait plus dans le monde ou dans l’être humain, mais dans [la] relation dynamique » entre un invariant (l’archétype) et un variant (le monde qui existe).
Et qu’en est-il de l’originalité de la SF en matière d’écriture ? Elle se trouverait, croit l’essayiste, dans la réification des structures narratives dont la forme particulière à la SF se situerait au niveau des contenus où les outils de la science et de la technologie sont « destinés à asservir/violer la Mère-Nature ».
Source : Janelle, Claude, Les Années d'éclosion (1970-1978), Alire, 2021, p. 447-448.