Parution : Solaris 75, Hull, 1987, p. 31-37.
Sophie Beaulé a lu 189 textes de SF parus entre 1980 et 1987 au Québec. À partir de ce corpus, elle tente de faire ressortir les lignes directrices de cette production et de rendre compte de l’évolution du genre au cours de cette période. Auparavant toutefois, elle s’attarde à « la porosité du champ SF, en relation avec l’institution canonique et l’instance critique ». L’auteure analyse trois indicateurs qui permettent de mesurer la position de la SFQ par rapport à la littérature du mainstream : les conditions de production, les instances de légitimation et l’émergence de la réflexion institutionnelle dans le champ universitaire. Elle remarque une osmose entre les deux sphères littéraires qui s’expliquerait, selon elle, par une même fascination pour la culture populaire et qui favoriserait la venue au genre SF d’écrivains du mainstream.
Dans la deuxième partie de son étude, Sophie Beaulé répartit la production en trois grandes thématiques qu’elle présente dans un processus évolutif qui ne tient pas compte de la chronologie des textes étudiés. D’abord, elle note la quasi-absence du Québec dans les récits, ce dont elle ne s’étonne pas car « le territoire d’un peuple est d’abord une réalité imaginaire, qu’il s’approprie à travers sa culture, avant d’être un territoire réel ». Elle relève même quelques personnages qui font figure de Survenant sur qui repose la responsabilité de la métaphorisation indispensable à la survie du peuple. Par la suite, elle relie l’absence de territoire physique à la désarticulation de la réalité. La dépossession de l’homme devient intérieure, son individualité étant menacée « dans son corps ou dans sa relation avec l’environnement physique et psychologique ».
Enfin, se basant sur la théorie de Moles et Rohmer sur les « coquilles de l’homme », Sophie Beaulé voit dans certains textes se profiler une volonté de réintégration du territoire imaginaire et réel de la part du personnage. Cette unité retrouvée, dont le trajet pour l’homme québécois se ferait à l’inverse de celui de l’homme occidental qui part de soi pour s’ouvrir sur le monde, serait porteuse du « mythe créateur du monde, témoin de l’unification de l’être et du sacré ».
En conclusion, Sophie Beaulé estime que la tendance « déterritorialisation » supplante encore la tendance « réunification » mais elle croit que cette dernière est appelée à se développer au cours des prochaines années, favorisée en cela par le contexte socio-politique du Québec.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1987, Le Passeur, p. 199-200.