Parution : La Francophonie panaméricaine : état des lieux et enjeux, Presses universitaires de Saint-Boniface, Winnipeg, 2000, p. 103-121.
Énonçant comme prémisse que la langue est au cœur de la question de l’avenir du Québec, Sophie Beaulé analyse les cinq nouvelles de science-fiction publiées dans le numéro 101 (chiffre qui renvoie à la loi sanctionnant le français comme langue officielle du Québec) de la revue Solaris ayant pour thème la langue. Pour l’essayiste, les cinq fictions (« Base de négociation » de Jean Dion, « Report 323 : A Quebecois Infiltration Attempt » de Jean-Louis Trudel, « La Collection Galloway » de Francine Pelletier, « Dégénérer » de Carl Kleinberg (pseudonyme de Charles Montpetit créé pour l’occasion) et « Le Projet » de Harold Côté) traduisent le climat politique qui a suivi l’échec de l’Accord du Lac Meech. L’analyse de Beaulé se réfère principalement aux trois premières nouvelles qui partagent une même perception de la position québécoise, à savoir un sentiment d’isolement du territoire québécois, isolement réel (une enclave géopolitique chez Jean Dion) ou métaphorique chez Pelletier.
La survie de l’identité québécoise devient problématique en raison de la Loi constitutionnelle de 1982 qui, en affirmant l’égalité de toutes les provinces, place le Québec au même niveau que les autres minorités culturelles et affaiblit la légitimité de ses paramètres identitaires. La vision néolibérale canadienne favorise les droits des individus avant la protection des droits collectifs, ce qui contribue à accentuer l’écart entre les orientations prises par la société québécoise et la société canadienne. De plus, le Québec se trouve coincé entre ses aspirations traditionnelles d’autonomie et les revendications nouvelles des autochtones en matière de territoire.
S’ajoute à cette conjoncture politique le retrait croissant de l’État au sein du social auquel le contexte mondial turbulent des années 1990 créé par la mondialisation a participé en favorisant l’érosion de l’État-nation. L’insécurité face à l’intégrité politique et sociale du Québec s’aiguise avec la question de l’Autre, qu’il soit canadien, immigrant ou autochtone. Les relations difficiles avec l’Autre mettent en relief la position ambiguë du Québécois qui, tout en cherchant à préserver son identité, est invité à s’ouvrir à l’hétérogénéité par la présence de l’Autre et ses revendications. La langue décrite dans les textes étudiés est à l’image de l’espace : elle est un lieu de conflit, une entité en mutation, voire en extinction. Sa situation d’assiégée dans l’imaginaire des écrivains exprime, selon Beaulé, la crainte rattachée à l’échec potentiel de la politique linguistique du Québec face aux nouveaux arrivants.
L’essayiste avance enfin que la peur de disparaître, présente dans quatre des cinq nouvelles, nourrit un discours social qui charrie des composantes du ressentiment comme idéologie, la nouvelle de Dion présentant à cet égard des points de vue multiples et divergents. Ayant très peu utilisé le texte de Harold Côté pour étayer son étude, Beaulé y a recours pour sa conclusion. « Le Projet » pourrait se lire comme une représentation du Québec actuel, incertain face au devenir possible de son identité. Ce malasise identitaire se traduirait jusque dans le nom du mouvement au cœur du texte, le mouvement Anti-Pro, un oxymore porteur d’une riche signification. Néanmoins, l’essayiste estime que le texte de Côté, tout comme celui de Pelletier, comporte un espoir quant à l’avenir de l’identité québécoise.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 2000, Alire, p. 200.