Parution : Les Ailleurs imaginaires, Québec, Nuit blanche éditeur, 1993, p. 77-91.
Jean-Marc Gouanvic se propose dans cette communication d’identifier les événements et les œuvres qui ont contribué à l’émergence de la SF moderne au Québec. Pour ce faire, il utilise comme principal critère le degré de rupture et de mutation dont sont porteuses les pratiques et les productions culturelles dans le genre SF. Son étude fait appel à deux types d’analyse : « l’une est une sociologie “ externe ” de l’institution, l’autre, une analyse textuelle “ interne ” des discours sociaux ». L’essayiste retient, dans une perspective de rupture par rapport à l’institution, les faits suivants : la publication en 1949 de la série de littérature populaire Les Aventures futuristes de deux savants canadiens-français même si elle n’a pas suscité d’émules, la création de Requiem en 1974 qui représente le chaînon-clé dans la constitution d’un fandom, la fondation de Pour ta belle gueule d’ahuri, d’imagine… et de la première collection de SF, Chroniques du futur, au tournant des années 1979-1980 et, enfin, la création de L’Année de la science-fiction et du fantastique québécois.
En ce qui concerne son analyse des discours sociaux novateurs et leur réception, Gouanvic fait intervenir la notion de doxa, canon social en fonction duquel les œuvres se positionnent : adhésion aux normes et modèles culturels ou rejet de ceux-ci. Il établit une liste d’une douzaine d’auteurs, d’importance inégale, dont les textes (nouvelles ou romans) imposent de nouveaux modèles. Ainsi, selon Gouanvic, Les Tours de Babylone de Maurice Gagnon est « le grand texte des années 1970 qui clôt une époque et en annonce une nouvelle ». Il déplore par ailleurs que de grandes œuvres de SF comme Le Silence de la cité d’Élisabeth Vonarburg et Coquillage d’Esther Rochon aient été publiées hors des structures éditoriales de SF québécoises existantes (en France, d’une part, et chez un éditeur généraliste, d’autre part), ce qui contribue à maintenir la SF québécoise dans un état de domination. « Toute innovation rupturelle récupérable dans le champ de la “ littérature haute ” fait reculer la reconnaissance de la SF québécoise comme pratique spécifique », avance-t-il. De même, le cofondateur d’imagine… croit que la publication simultanée du premier recueil de Jean-Pierre April et d’Élisabeth Vonarburg dans la collection Chroniques du futur, deux œuvres véritablement fondatrices, a eu un effet néfaste en neutralisant l’impact de chacun des deux livres et en créant une situation de bipolarisation de la SFQ.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1993, Alire, p. 221.