Parution : Moebius 64, Montréal, 1995, p. 89-96.
La réflexion de Joël Pourbaix s’intègre dans le dossier « L’imaginaire de la science » de la revue Moebius. La littérature ne peut plus emprunter la voie de l’anticipation positive de la fin du XIXe siècle ni les cloisonnements en sous-genres du XXe siècle. La science a évolué, un « nouveau syncrétisme spiritualiste concurrence les marges communes de la science et de la littérature » et la Fiction doit désormais prendre le chemin de traverse entre science et imaginaire, que l’essayiste explore par divers sentiers : « Les voies du dogme », « De l’écriture singulière », « Le savant, l’androïde et les folies du corps », « La guerre » et « L’enfance de l’art ».
Pourbaix retrace d’abord les « voies du dogme », pour mieux s’en éloigner. Le mouvement nouvel âge récupère des textes de différents horizons littéraires et scientifiques pour faire de la science le véhicule de la vérité, de la « vraie réalité ». Il s’agit plutôt là d’explications, de discours sur le sens qui ne sont que des « voies sans voix ». Le langage poétique, lui, travaille dans l’excès ; il rejoint le langage mathématique dans son refus de croire que les mots expriment des idées.
De fait, l’écriture rejoint la science. En effet, ni la science ni la poésie ne peuvent répondre aux questions métaphysiques. Toutes deux maintiennent la distance entre soi et le monde, distance qui permet la rêverie sur la Réalité Ultime. Toutes deux connaissent la soif de savoir, expérimentent, voient leur désir de monter un monde cohérent s’effondrer.
Si l’image de l’écrivain solitaire et du savant fou s’estompent dans l’imaginaire contemporain, elle n’en survit pas moins. De fait, les découvertes scientifiques apparaissent de plus en plus folles et montrent leur part de fiction : androïde en révolte de Blade Runner, ingénierie génétique, corps technologisé, épidémies…
Il en va de même pour la guerre. On ne peut plus « anticiper » de guerre atomique, remplacée par les attentats aveugles, la guerre des images ou le simulacre. La Fiction, elle, croit en une réalité irreprésentable, dans « la compréhension de ce qui est à dénoncer » et le désir de raconter, désir s’enracinant dans celui de la communauté. L’acte poétique, en fait, contemple et observe le monde comme la science et l’enfance : tous trois relèvent de l’impulsion du désir de savoir, qu’il touche l’astronomie ou la politique. La science des merveilles continue d’activer notre imaginaire.
Source : Beaulé, Sophie, L'ASFFQ 1995, Alire, p. 221-222.