Parution : Lurelu, vol. 15, n˚ 3, Montréal, 1993, p. 12-17 et 32.
Réédition : Solaris 104, Ville-Marie, 1993, p. 70-75.
Simon Dupuis note qu’en une décennie (1982-1992), environ 75 romans de science-fiction pour jeunes ont été publiés au Québec, ce qui représente un formidable essor du genre. L’analyste convient toutefois qu’une partie de cette production relève davantage de l’univers merveilleux du conte de fées, la baguette magique ayant été remplacée par l’ordinateur et le souci de la vraisemblance étant la moindre des préoccupations de certains auteurs. Dupuis se concentre sur la « vraie » science-fiction, celle qui décrit de la manière la plus crédible possible un autre type de société façonnée par la science, pour dégager les lignes de force de la production.
Diverses constatations peuvent être tirées de ce corpus : la science est un enjeu majeur dans la mesure où elle peut être contrôlée par une superpuissance qui menace la survie de l’espèce humaine et son utilisation peut soulever un problème d’éthique ; le déclin écologique de la planète suscite les pires récits de SF en raison de leur ton moralisateur et lourdement didactique ; la religion, à l’exception de deux romans de Jacques Lazure, est absente des valeurs débattues par les auteurs ; les loisirs et les formes d’art du futur sont peu abordés avec toutefois de notoires exceptions chez Denis Côté (le hockey), Francine Pelletier (projections holographiques), Daniel Sernine et Esther Rochon ; le robot, très présent dans le corpus étudié, est presque toujours représenté comme « le méchant géant infaillible » et permettrait à l’Homme, selon l’hypothèse de Dupuis, d’affirmer son droit à la singularité et à la souffrance tout en le protégeant, par effet de repoussoir, d’une menace collective propre aux Québécois, à savoir « la dénaturation graduelle d’un peuple en train de se fondre dans le moule anglo-saxon nord-américain » ; les créatures extraterrestres, au contraire des robots, ne suscitent pas la crainte car elles se manifestent aux humains pour leur demander de sauver leur race ou leur planète ; la conquête de nouvelles planètes s’accompagne d’un sentiment de culpabilité qui incite le héros à s’opposer aux intérêts mercantiles des multinationales prêtes à sacrifier des animaux ou des espèces autochtones.
En somme, conclut Dupuis, les auteurs de SF pour jeunes sont perméables aux débats sociaux et aux valeurs culturelles qui caractérisent la société québécoise.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1993, Alire, p. 219.