Parution : Misogynie, sexisme, féminisme : images ambiguës, Les Cahiers du Grad 3, Sainte-Foy, Université Laval, 1989, p. 127-192.
Constatant que le fantastique fait l’objet d’une dévalorisation face à la littérature réaliste, Lise Pelletier considère que le fantastique féminin subit une double dépréciation. Elle se propose donc d’explorer les principaux procédés du sexisme systématique dont il est victime et les figures féminines mythiques véhiculées par les théoriciens du fantastique. L’examen des manuels scolaires et du sommaire de deux anthologies du fantastique (celle de Roger Caillois et celle de Goimard et Stragliati en dix volumes) révèle que les auteurs féminins y occupent une place marginale (respectivement 4,9 % et 7,5 %) alors qu’il « existe une véritable tradition féminine, issue du gothique et des histoires des fantômes ».
Se basant sur les travaux de Madeleine Ouellette-Michalska qui a fait un relevé des marques intratextuelles du sexisme dans la littérature, Lise Pelletier analyse le discours discriminatoire de la critique qui contribue à l’occultation et à la sous-représentation des auteures dans la littérature fantastique. Les procédés les plus souvent utilisés sont : « l’accréditation des femmes par le lignage paternel, l’association maritale ou affective », « la confirmation de stéréotypes sociaux et sexuels dans l’analyse du style » (des normes masculines subjectives appliquées à l’écriture féminine), « la présentation de l’œuvre comme l’expression d’un mouvement politique et non comme le produit d’un travail littéraire » (en occultant une partie, généralement subversive, de l’œuvre de l’écrivaine), « la tendance à situer l’œuvre ou le précédé du côté des phénomènes naturels bruts et non du côté de l’art ».
L’essayiste examine ensuite comment les rapports traditionnels femmes/hommes perpétués par le discours patriarcal déterminent l’image négative ou menaçante de la plupart des figures féminines mythiques : la femme-fée, qui se répartit en cinq ordres, la femme-Lilith, sorte d’androgyne et la femme-sirène. Reconnaissant l’utilité de la psychanalyse dans l’étude du fantastique en raison du rapport étroit entre ses aspects formels et les configurations du discours inconscient, Lise Pelletier croit, comme bon nombre de critiques, à la fonction subversive du fantastique qui, en menaçant l’ordre culturel, joue, dans la littérature, le rôle que la société assigne au fou dans notre monde.
Elle affirme que « le fantastique ne se définit que par rapport à la littérature réaliste, qui prétend décrire la réalité ». Or si la réalité est « ce qui est communément admis dans la culture », elle ne peut être que double car les hommes et les femmes vivent dans des cultures distinctes. C’est pourquoi, soutient l’auteure, les femmes ont si souvent utilisé le thème de la folie, seule résistance possible au discours patriarcal fondé sur une seule réalité, la réalité masculine. Enfin, Lise Pelletier analyse la nouvelle de Charlotte Perkins Gilman, « Le Papier peint jaune », qu’elle juge exemplaire comme expression du refus de se soumettre à une réalité masculine imposée. La folie ou le suicide y apparaît alors comme le seul moyen pour l’héroïne de retrouver sa liberté.
Source : Janelle, Claude, L'ASFFQ 1989, Le Passeur, p. 242-243.